Les amoureux des films de Hong Kong connaissent bien ce nom, Tsui Hark, les autres peut-être moins, mais ils en ont au moins vu les influences tant ce réalisateur/producteur (et parfois acteur) a marqué et inspiré bon nombre de réalisateurs asiatiques comme occidentaux.
Moins connu que John Woo dans nos contrées, Tsui Hark demeure comme le « patron » de cette époque de l’âge d’or du cinéma de Hong Kong, cette période s’écoule de début 80 à mi 90. Réalisateur peu malléable et extrêmement énervé contre le système à ses débuts (son film L’Enfer des armes sera censuré à Hong Kong et il reste à l’heure actuelle difficile de le trouver dans sa version originale, nous verrons ce que l’éditeur vidéo Spectrum Film nous proposera dans son édition en 2024), il se distingue des autres par sa volonté de sortir du cadre (parfois littéralement, comme certains plan de The Blade où la caméra peine à montrer l’action), de s’éloigner le plus possible du cinéma commercial avec des propositions originales, de l’expérimentation de plans, mais aussi d’acting ou encore d’écriture (à nouveau dans The Blade, les acteurs n’avaient que des bribes de scénarii et devaient improviser les dialogues, ce qui s’avéra trop complexe pour eux et in fine, on leur écrivit des textes). Il renouvela le Wu Xia Pian avec Zu. Il toucha aussi bien au drame romantique avec l’adaptation de la légende chinoise des amants papillons avec le sublime The Lovers, qu’à la comédie WTF hong kongaise avec le Festin Chinois.
Après une courte période américaine, il revint à Hong Kong et là encore comme avec une envie de souffler et évacuer tout le stress accumulé pendant quelques années aux Etats-Unis, il nous livre l’excellent Time and Tide, polar d’action foutraque, chaotique, fun avec une jolie brochette d’acteurs se donnant tous à fond. Par la suite, le gouvernement chinois va au fil des années de plus en plus s’immiscer dans ses productions. On y retrouvera des films tout de même marquants mais moins brutaux qu’à ses débuts.
Réalisateur pas forcément accessible, il fait partie de ces cinéastes où le visionnage d’un de ses films peut sembler compliqué voire décevant. La plupart du temps, il s’agit juste du fait qu’il faut digérer ce qu’on a vu. Les films peuvent être difficiles à suivre mais certaines scènes s’imprègnent dans votre cerveau, donnent envie d’être revues, puis de visionner à nouveau tout le film et on s’aperçoit qu’on est devenu accro. C’est la patte d’un réalisateur, qui donne de lui-même dans ses œuvres et qui ne se moque pas des spectateurs !
Toute cette introduction pour évoquer la sortie d’un livre de 576 pages en français annoncé chez Omake Books et écrit par Arnaud Lanuque, véritable Bible vivante sur le cinéma asiatique. L’annonce de ce livre m’a ravi au plus haut point et j’ai hâte de me plonger dedans.
J’ai pu poser quelques questions à Arnaud qui a eu la gentillesse de me répondre de manière très détaillée. Je vous laisse avec cet échange.
La plupart des gens qui aiment le cinéma asiatique doivent t’avoir, au moins une fois, déjà vu, lu ou entendu mais pour les autres pourrais-tu te présenter ?
Je m’appelle Arnaud Lanuque. Je suis l’auteur du livre Police Vs Syndicats du Crime paru aux éditions Gope en 2017 et qui est consacré aux polars et films de triades hong kongais. J’ai également signé des articles sur le cinéma de hong kong dans divers magasines comme l’Ecran Fantastique, Mad Movies, So Film, Paroles…
Je collabore également régulièrement avec plusieurs éditeurs de DVD/BR comme Spectrum Films, 88 Films, Eureka ou encore Vinegar Syndrome. En somme, je travaille autour du cinéma asiatique de manière générale et hong kongais tout particulièrement depuis une vingtaine d’années. Tsui Hark, la Théorie du Chaos est mon deuxième livre en solo.
Quels sont tes premiers souvenirs de films HK ou asiatique, comment es-tu « tombé dedans » ?
Mon premier souvenir de film asiatique est quand j’étais chez mes grands-parents. Je devais avoir entre 6 et 10 ans. Et le soir, sur la 5 de Berlusconi, j’avais vu un film qui m’avait fait beaucoup d’effet : Le Roi du Kung Fu Attaque aka The One Armed Boxer de Jimmy Wang Yu. Je me souviens tout particulièrement que l’entrainement où il se brule les nerfs de sa main restante pour se fortifier m’avait semblé être une idée géniale (attention, à ne pas faire chez soi !) et que l’un des adversaires finaux, le lama du Tibet qui pouvait grossir comme une grenouille, m’avait semblé très impressionnant.
Par la suite, j’ai découvert Jackie Chan puis Akira Kurosawa et ai vraiment plongé dedans quand je me suis piqué de cinéphilie alors que j’avais la vingtaine.
Comment as-tu découvert Tsui Hark, par quel film ?
J’ai découvert Tsui Hark avec une de ses productions : Histoire de Fantômes Chinois 2. J’étais adolescent et un ami avait enregistré le film qui était passé sur Canal +. Il était très enthousiaste et nous l’a projeté. Je me souviens avoir plutôt apprécié (« Poyé Polomi », « figé ! »). Mais je n’étais pas dans ce type de cinématographie à l’époque donc cela ne m’avait pas poussé à faire d’autres recherches à ce niveau. J’ai donc commencé à découvrir son œuvre plus sérieusement à la fin des années 1990, grâce au travail fait par HK Magasine et l’éditeur HK Vidéo. Il m’a fallu tout de même un peu de temps pour être pleinement converti, ayant eu quelques réserves avec le visionnage de films comme Zu les Guerriers de la Montagne Magique. Mais quand j’ai vu The Lovers ou encore Green Snake, je suis définitivement passé de l’autre côté.
Tu as pu, pour ce livre, rencontrer énormément de ses collaborateurs. Tsui Hark étant quelqu’un d’assez difficile sur les tournages, après toutes ces années, y’a t-il des ressentiments où le côté génie prend le dessus sur les possibles mauvais souvenirs ?
Les deux. Mais c’est quand même le côté génie qui domine chez la plupart des gens avec qui j’ai pu en discuter. Il y a quelques personnes dans le lot qui pensent que Tsui Hark n’est pas si doué que ça ou qui continuent à garder une certaine rancune envers ce qui a pu se passer quand ils ont travaillé ensemble mais c’est une toute petite minorité. Tsui Hark est d’ailleurs le premier à reconnaître que, dans certains cas, il a peut-être été trop loin et il le regrette. Mais le résultat est là et si il n’avait pas été aussi dictatorial, je ne suis pas sûr que les films auraient été aussi bons. –
Penses-tu que Tsui Hark puisse encore refaire des films critiques vis à vis du gouvernement dans le contexte actuel ? Je retrouve en ce moment des folies visuelles dans ses réalisations plus récentes mais on est très loin du chaos global de ses premiers films (en tant que réal et producteur) sur le fond et la forme.
Tant qu’il continuera à travailler en Chine (incluant Hong Kong), non. Le contexte a complètement changé depuis la rétrocession. Le marché chinois a pris un ascendant majeur sur le cinéma de Hong Kongg. Or, la censure locale est bien plus restrictive que celle que connaissait HK durant les années 70 à 90, qui furent une sorte de parenthèse idyllique dans l’histoire de la colonie et de son cinéma. En plus, si la censure chinoise tendait à se relâcher un petit peu durant les années 2000, la dynamique s’est inversée dans les années 2010.
Au contraire donc, les réalisateurs cotés sont maintenant gentiment poussés à mettre leurs talents au service des messages promus par le PCC. Au mieux, il parviendra à mettre quelques petites pointes critiques comme il l’a fait sur les Detective Dee. Mais ce sera à la marge et mélangé à d’autres thématiques plus en phase avec ce que souhaite le gouvernement chinois. En plus de l’influence rigidifiante de la censure chinoise, Tsui Hark compose également avec des budgets de plus en plus importants, ce qui n’incite pas non plus à faire beaucoup d’improvisations. Et puis, comme beaucoup de personnes, il s’est un peu assagi avec l’âge. Donc, non, c’est impossible. –
Si tu devais conseiller 3 films de Tsui Hark à nos lecteurs pas forcément familiers avec lui, lesquels choisirais-tu ?
Peking Opera Blues, parce qu’il est emblématique de la formule Tsui Hark : un mélange des genres virtuose où on ne s’ennuie jamais, une manière moderne de revisiter une certaine histoire de la Chine et des personnages féminins charismatiques au premier plan.
Swordsman 2, parce que le Wu Xia Pian est le genre phare de toute la carrière de Tsui Hark, le genre dans lequel il n’a cessé d’officier et de revenir. Swordsman 2 est le plus brillant exemple de neo-Wu Xia Pian, des films de cape et d’épée hyper actifs très à la mode au début des années 1990. Bien que le film ait été essentiellement réalisé par Ching Siu-tung, l’âme du film, c’est bien Tsui Hark.
The Lovers, parce que cela montre une autre facette du cinéaste, plus comique et romantique, qui sont des éléments un peu oubliés mais pourtant omniprésents dans son cinéma. C’est aussi probablement un des films de sa filmographie parmi les plus accessibles quand on n’est pas forcément habitué au style des films de Hong Kong.
576 pages sur Tsui Hark avec des interviews exclusives, ça risque de rendre les autres pays jaloux. As-tu été contacté pour adapter ton bouquin dans d’autres langues ?
J’ai été en contact avec un éditeur chinois et un éditeur hong kongais pour une éventuelle publication, en Chinois donc. Malheureusement, les discussions n’ont pas abouties. Mais je garde espoir pour que des traductions, au moins en anglais et en chinois, puissent voir le jour à l’avenir. Précisons qu’il existe déjà une biographie de Tsui Hark en anglais, venant des Etats-Unis, par Lisa Odham Strokes et deux livres d’analyses et interviews, bilingue anglais – chinois, du HK International Film Festival et de la HK Film Archive. Il existe également un livre consacré au cinéaste en Chine continentale mais il s’agit de ce type de biographie où l’auteur se prétend dans la tête de son sujet. Ce dernier n’est donc pas une ressource fiable mais les 3 autres œuvres étaient déjà des livres de qualité et comportent des informations intéressantes qui font un bon complément à mon propre travail. –
Tu as pu passer une dizaine d’heures d’interviews avec lui, peux-tu nous parler de ces entretiens, comment se sont-ils déroulés ? Y’a t’il des sujets qu’il ne veut pas aborder ?
Les entretiens ont eu lieu à Pékin où Tsui Hark passe maintenant l’essentiel de son temps. Je ne vais pas rentrer trop dans les détails mais la première fois a été assez compliqué parce que certaines de mes questions posaient problèmes. Est-ce que ça posait problème à son entourage qui voulaient faire du zèle ou à lui personnellement ? j’avoue que je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire mais j’ai dû couper un certain nombre de sujets pour que l’interview puisse avoir lieu. Une fois ce checkpoint passé et que j’ai pu lui parler directement, les choses se sont très bien passées. Tsui Hark est quelqu’un qui a une très bonne mémoire, ce qui n’est pas donné vu que certaines de mes questions peuvent être très précises et qu’on parle de films qui pour certains datent de plus de 40 ans ! A part sur 2 ou 3 sujets très spécifiques, il s’est montré très ouvert et franc dans ses réponses. Ce à quoi je lui en suis très reconnaissant. Il a montré une facette qui est éloignée de l’image qu’il a pu projeter tout au long de sa carrière et je trouve que cela le rend d’autant plus touchant et humain.
Quand je l’ai eu en face de moi, il n’a jamais refusé de répondre à la moindre question que je lui ai posé. A une exception près : quand je lui ai posé une question sur sa mère. Hélas, son enfance au Vietnam fait partie des choses que j’aurais aimé pouvoir creuser davantage mais qu’il n’a pas été possible de faire. Ca fait partie des quelques regrets que j’ai par rapport au livre. –
Fulguropop parle de toute la pop culture en général, tu auras pu remarquer que le site est tout de même plus spécialisé dans le jouet. Est-ce quelque chose qui te parle ou pas vraiment ? Pour toi, les jouets c’est quelque chose qui s’est arrêté à la sortie de l’enfance ?
Il est certain que je ne joue plus avec des figurines mais c’est quelque chose que j’ai beaucoup fait quand j’étais enfant et j’ai d’excellents souvenirs passés à imaginer des histoires avec mes jouets Star Wars, GI Joe ou Chevaliers du Zodiaque. Comme tous les hommes, je reste un grand enfant et continue à regarder avec intérêts les objets estampillés plus adultes. J’ai fini par craquer pour une reine Alien et un Gamera, tous deux de très belle facture. Mais Hong Kong est un très bon endroit pour éviter de tomber dans la collectionnite aigue vu que les appartements sont très petits, ils obligent à prioriser les objets pratique à ce type de décorations. Et, dans un sens, mon portefeuille et ma femme y trouvent leur compte ! –
Une dernière question pour la fin : ce livre a dû être épuisant, vu le nombre d’années que tu as passé dessus. As-tu d’autres projets dans le futur ou tu vas souffler un peu durant quelques temps ?
Je suis déjà en train d’écrire un 3e livre, à nouveau consacré au cinéma de Hong Kong. Il devrait sortir au début de 2024. J’ai également un autre projet déjà commencé qui m’écarterait du port parfumé et me permettrai d’explorer d’autres rivages culturels, même si Hong Kong y figurera un peu. Je suppose que je ne peux jamais complètement m’en défaire !
Un grand merci à Arnaud pour son temps et cet échange.
Le lien direct vers sa chaîne YouTube La Maison du Cinéma Asiatique avec l’annonce du livre :
Le livre est disponible en précommande via ce lien au prix de 39,95 € :
https://omakebooks.com/fr/en-precommande/660-tsui-hark-la-theorie-du-chaos-9782379892721.html
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Superbe interview, très intéressante.
C’est vrai qu’à une époque Hong Kong était une place fourmillante de talents qui nous changeait complètement du cinéma hollywoodien.
Le Japon et la Corée ne sont pas en reste, c’est une véritable bouffée d’air en tant que cinéphile que ce cinéma asiatique.
Merci abdel pour ton commentaire !
Je suis très nostalgique et en même temps je trouve ça cool que cet âge d’or est un début et une fin. Toutes les bonnes choses ont une fin et témoignent de leur époque au passage 🙂