Les yeux dans les yeux de l’écran (5ème partie : cyborgs et autres androïdes)

La question de la vision dans les films de genre

Précédemment dans « Les yeux dans les yeux de l’écran » : « on se dira quand même qu’on pourrait faire chic par la même occasion et donc un peu de grec, en désignant la vision normale ou censée l’être par le terme le plus concret c’est-à-dire omma, et la vision transformée avec plus ou moins de bonheur par le mot opsis. »

Entre chair et métal

RoboCop sait viser rien que des yeux, et le Terminator voit rouge mais pas seulement
(crédits photographiques : Orion Pictures Corporation, Cinema’ 84, A Greenberg Brothers Partnership)

RoboCop voit façon télévision des années quatre-vingts, à l’aide d’un balayage progressif qui devrait plutôt être un mode d’affichage, mais aussi à travers une grille verte qui lui sert à viser, à côté d’incrustations vidéo qui apparaissent quand il accède à ce qu’il a enregistré. Le T-800 voit plutôt façon caméra des années quatre-vingts, en rouge puisque ses yeux sont rouges, et lui aussi une réalité augmentée d’informations textuelles, qui défilent par intervalles sans toujours avoir une utilité claire. C’est qu’il y a confusion des genres, car si les deux sont d’abord des armes mobiles pour leurs créateurs et des visées ambulantes pour les spectateurs, l’un est un cyborg qui a peut-être gardé ses yeux d’avant sa cybernétisation, même s’il dit dans RoboCop 2 qu’ils sont « as good as money can buy », quand l’autre est un androïde dont l’endosquelette comporte des globes oculaires. La thèse osée du spectateur aguerri pourrait donc être que le T-800 descend du HAL de 2001: A space odyssey dont l’œil est rouge aussi, à travers entre autres le Gunslinger du film Westworld à la vision pixellisée puis rougie à l’acide, pour former une sorte de généalogie sanguine de l’opsis qui s’opposerait au quasi-omma des cyborgs.

Geordi prouve au cinéma qu’il vaut mieux se faire refaire les yeux pour repérer un fuyard dans une forêt, que porter un morceau de radiateur en guise de visière comme dans la série The next generation
(crédit photographique : Paramount Pictures)

Le T-1000 voit grâce au toucher, si l’on en croit la scène coupée où il fouille la chambre de sa cible, ou grâce à une forme particulière de scannage, ce qui donne envie de citer la licence Scanners alors qu’il y est seulement question de télépathie. Il n’a peut-être pas besoin d’yeux s’il est doté d’un sens supérieur à la vue, à l’opposé du personnage de Geordi La Forge, qui est aveugle de naissance mais compense son handicap au moyen d’implants oculaires offrant une vision télescopique dans Star Trek: First contact, après avoir usé d’un VISOR permettant de voir les infrarouges et les ultraviolets dans Star Trek: Generations, où il fait d’ailleurs le malheureux en prétendant « I’ve never seen a sunrise. Not the way you see it. » A l’opposé aussi de Data, dont il est pourtant un proche parent puisqu’il s’agit également d’un androïde, mais qui possède des yeux lui permettant de voir les distances, et qui sont sans doute bridés pour lui permettre d’imiter l’homme à ce titre aussi, dans une sorte de tentative décroissante de ramener l’opsis à l’omma.

Anakin s’est décidé à porter le masque pour devenir intéressant, tandis qu’un second couteau de Nirvana n’a pas compris qu’il fallait ménager ses yeux
(crédits photographiques : Lucasfilm Ltd., Davis Films. C.G.G. Tiger Cin. CA/Colorado Film Production)

La limite de l’exercice est contenue dans son énoncé même, puisqu’il s’agit de faire ou refaire de l’humain, et la solution très complète que représente l’Ava d’Ex machina ne peut que voir comme l’homme voit, ou du moins faire semblant puisque c’est le propos du film. Et si le cyborg des cyborgs et le moins reconnu pour ça, à savoir le personnage de Darth Vader, a lui aussi une vision améliorée, elle ne l’est qu’à partir d’une base dégradée suite au combat voulu homérique avec son mentor, et l’idée saugrenue de l’avoir mené sur l’équivalent d’un Soleil, alors que tout le monde sait que la photokératite n’est pas à prendre à la légère. Hormis la teinte rouge de ses lentilles, qui rappelle le traitement anti-réflexion de certaines jumelles et crée la confusion en ramenant à la généalogie des androïdes, sa vue n’est donnée à voir que dans l’Episode III, et si son casque augmente sa vision dans les infrarouges et les ultraviolets ou grâce à des informations variées, il ne fournit qu’une opsis de compensation à défaut d’un omma. Car Vader ne vit pas dans un monde où les yeux sont un produit marchand comme dans Nirvana et Alita: Battle angel, ni dans ceux de Blade runner et Kōkaku kidōtai où ils sont un produit industriel, ce qui revient d’ailleurs à réserver la vision de qualité aux plus riches, ou à la dépasser en faisant de ce que voit l’être artificiel une réalité supérieure, dixit le Replicant à son chasseur : « I’ve seen things you people wouldn’t believe. »

Les semaines passées : de la vision du mal à celle du mort, de la vision du matériel à celle du tout, entre deux eaux, entre chien et loup

La semaine prochaine : entre mecha et kaijū (des Eva à Mechagodzilla)

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *