Marché du jouet : l’étrange cas du jouet pour collectionneur

Aujourd’hui on va parler des jouets pour collectionneurs et distribution. Non pas tant pour râler ou se plaindre que pour essayer de comprendre la façon dont les choses se font.

En dehors d’Internet, la distribution de jouets se partage entre enseignes spécialisées (type JouéClub, La Grande Récré, PicWicToys…) et grandes surfaces généralistes (Carrefour, Leclerc…) auxquelles s’ajoutent des boutiques indépendantes de moins en moins nombreuses, malgré en regain d’intérêt dans les centres-villes bourgeois pour ce type de commerce (surtout pour les jouets premier âge et les jeux de société, au final).

Une distribution erratique

Sur ce marché, nous sommes particulièrement intéressés, nous collectionneurs, par la niche des figurines articulées de qualité adossées le plus souvent à des licences. Cette niche a fait récemment l’objet de pas mal d’efforts en France où le phénomène reste mal compris. Nous avons cependant voulu croire à cet élan, malgré les signaux contradictoires et les mots-valises affligeants. Mais force est de constater qu’on a plus souvent affaire à des rayons pleins de Funko Pop! que de figurines articulées.

 

La Fnac des Halles, M’sieurs dames.

 

D’une manière générale, les gammes destinées aux collectionneurs ont du mal à s’imposer en France. Mattel France a mis près de deux ans à proposer les Masters of the Universe Origins et encore voit-on très peu de références chez nous à la différence des autres pays européens. Ceci dit, on assiste, même chez nos voisins, à un nivellement par le bas en la matière, semble-t-il. Prenons l’exemple des sites Internet de deux grandes enseignes françaises, qui ont récemment mis l’accent sur leur intérêt pour les marché des collectionneurs. Les captures d’écran présentées ci-dessous ont été réalisées le 16 décembre 2022.

Sur le site de Jouéclub, on remarque un bon référencement de la licence MOTU avec des produits variés, mais qui demandent un peu d’agilité pour trouver toutes les références, certaines apparaissent quand on entre dans le moteur de recherche “MOTU”, d’autres “Musclor”, les résultats les plus complets étant liés aux “Maîtres de l’univers”. En effet, on trouve alors des MOTU Origins, des Funko Pop! ou des jouets grand public du nouveau DA Netflix. Si l’on tape dans “Masters of the Universe”, ça donne n’importe quoi, ce qui est assez logique.

Chez PicWicToys (désormais filiale française de Smyths Toys), on a droit à des résultats beaucoup moins intéressants. On ne trouve qu’une seule Funko Pop! si l’on cherche  “Maîtres de l’univers”, rien pour Musclor ou MOTU, et des trucs bizarres pour “Masters of the Universe”.

Autre exemple de retard français, les figurines McFarlane Toys (Avatar, DC Multiverse…) ne sont distribuées chez nous (hors import via des grossistes comme Heo ou Cosmic Group, par exemple) que depuis cette année grâce à Bandai, mais au prix d’un léger surcoût (30 euros au lieu de 20$ dans nos rayons).

Justement, le prix, parlons-en. Le sujet est dans toutes les conversations et à la source de toutes les hésitations quand il s’agit de valider un panier ou de faire son choix en rayon.

Hausse des prix

La différence de prix entre l’Europe et les USA est un vieux sujet de dispute entre collectionneurs sur Internet. Or pour la première fois, nos amis américains commencent à expérimenter, toutes proportions gardées des prix proches des nôtres. Nous conservons un désavantage comparatif en matière de TVA (8% en général aux USA contre 20% ici) et de coûts liés aux différents intermédiaires.

De fait, la succession des crises a accéléré l’augmentation des prix. L’explosion des coûts de production, d’expédition et de distribution se répercute à chaque maillon de la chaîne de vie des produits. Le Covid a fermé les usines (et impacte encore aujourd’hui certaines zones de production en Chine) et par effet de bord engorgé les ports de containers, les retards accumulés ont induit des surcoûts exceptionnels pour le transport le stockage des jouets comme on l’a vu à noël 2021.
La tension sur les ressources forestières (pour le papier et le carton), minières (pour les rares pièces en métal), pétrolières (plastique et logistique) et gazières (énergie et logistique) accroît les coûts de fabrication des jouets et de leur conditionnement et de transport, mais aussi les coûts de distribution, les magasins devant en général être chauffés. Et accessoirement, l’inflation étant une spirale vicieuse quand on commence à augmenter des salaires pour compenser une hausse des prix, on assiste à une répercussion sur les coûts de production, donc à une nouvelle augmentations des prix qui entraîne potentiellement de nouvelles revendications salariales et ainsi de suite…

De fait, les prix des figurines ont connu une hausse inédite aux USA comme en Europe. Si l’inflation semble se calmer sur les produits non-alimentaires dont les jouets, selon le patron de Walmart, les prix ne sont pas pour autant prêts de baisser. Cette situation interroge sur l’élasticité prix des jouets. Ce ratio permet de mesurer la sensibilité de la demande à la variation du prix. Partant du principe que la demande diminue lorsque le prix d’un bien augmente, ce ratio est généralement négatif. On verra hors période de Noël (au cours de laquelle les parents se sacrifient plus facilement pour acheter des jouets) l’impact qu’aura l’inflation sur le marché du jouet, même s’il sera difficile de distinguer entre jouets grand public et jouets de collection. C’est probablement du côté des boutiques spécialisées que sonnera l’heure de vérité. Et là, je crains un carnage.

Des distributeurs fragilisés

En effet, les revendeurs où nous avions nos habitudes ont déjà montré des signes inquiétants. Je ne reviendrai pas sur les déboires d’entreprises spécialisées dans la distribution de jouets et qui avaient démontré un intérêt pour le marché du jouet de collection. Toutefois, voici quelques exemples : la fermeture du flagship parisien de JouéClub, la faillite de Toys’R’Us, les montagnes russes de PicWic/PicWicToys repris par Smyths, la disparition des magasins Disney Store...

Aux Etats-Unis aussi, la période de transition qui s’est ouverte après la chute de Toys R Us semble se refermer. La concentration du marché aux mains des deux géants de la distribution, Walmart et Target, complique les stratégies de Mattel et de Hasbro notamment. En France, quelques hypermarchés continuent à nous surprendre avec des figurines de collection, mais ils sont tellement peu nombreux qu’ils font sensation à chaque fois sur les réseaux sociaux.

Alors faut-il se résoudre à n’acheter des jouets qu’en ligne ?

L’avenir est sur le net

Cela reste à voir. En effet, même sur le net les équilibres sont précaires.

Les clients d’un site marchand comme Megalopolis: City of Collectibles en ont fait la douloureuse expérience. Rappelons que le site, qui a cessé toute activité, continuait d’encaisser des pré-commandes et des commandes alors que ses dirigeants savaient qu’ils ne pourraient pas les honorer. Les forum et des sites comme Reddit regorgent d’exemples d’internautes floués, certains ayant même commandé des produits soit disant “en stock”, mais qui n’ont jamais été expédiés. Le pire, c’est que ces malandrins poursuivent leurs activités dans le secteur du jouet pour collectionneur puisqu’ils ont fondé Premium DNA.

D’aucuns estiment que cette société a été financée avec l’argent des commandes encaissées et non honorées. En tout cas, la même équipe a changé de place dans la chaîne alimentaire du jouet vu qu’ils sont désormais fabricants (enfin designers, ce sont des usines chinoises qui fabriquent pour eux) de ces jouets. Un autre distributeur en ligne, Entertainment Earth, poursuit d’ailleurs en justice la société derrière ce site Internet, Toy Overlord Inc., pour rupture abusive de contrat engendrant une perte de 460 000 dollars. Un internaute a publié sur la plateforme Medium.com une enquête intéressante sur les pratiques hétérodoxes de ces deux sociétés. Je vous invite à en prendre connaissance. Voilà qui vous explique pourquoi FulguroPop s’abstient de parler des produits créés par Premium DNA depuis avril 2021. Nous avions à l’époque annoncé la sortie des figurines Battletoads, avant de découvrir l’identité et le passif de cette société.

Loin d’atteindre ces proportions dramatiques à deux doigts de l’escroquerie, ce mois-ci c’est l’annonce de la fermeture imminente de Dorksidetoys qui monopolise l’attention et les inquiétudes eu égard aux nombreuses pré-commandes ouvertes depuis des mois voire des années.

 

C’est d’autant plus dommageable que les pré-commandes sont devenues le moteur de ce business.

Pré-ventes

Ainsi, plus que le canal (boutique en ligne ou en magasin physique), la clé du succès et la seule probable issue pour obtenir des jouets de collection tels que nous les imaginons réside dans la pré-vente.

Alors, oui, on déteste tous attendre plusieurs mois voire années [“hello, Mezco et Super7“] pour voir débarquer les figurines qu’on a payées déjà une belle somme. Le fait pour les fabricants de recourir aux préventes est lié au fonctionnement du marché US. En l’absence d’un mastodonte comme Toys R Us, les fabricants doivent convaincre les Walmart, Target et Walgreens qu’ils vont gagner de l’argent en distribuant leurs jouets. Les fabricants entendent ne pas prendre de risques : ils ne lancent la production qu’une fois un certain volume de commandes assuré  par leurs circuits de distribution.

En fait, ils financent les coûts de développement comme le design, le prototypage, les études marketing et la conception des moules de fabrication, un poste incroyablement coûteux. Les grandes surfaces américaines pré-paient les jouets que Hasbro et Mattel (pour ne citer qu’eux) fabriquent (après avoir investi dans les moules) et leur livrent sur la base de ces commandes. De temps en temps, ces distributeurs s’engagent sur des quantités sur la base de ces prototypes et vont prendre une exclu ou deux pour essayer d’attirer des collectionneurs dans leurs rayons et leur faire remplir leurs caddies (même s’ils ne trouvent pas le jouet spécifique qu’ils étaient venus chercher, mais c’est une autre histoire, celle du miracle des produits d’appel).

Or ces enseignes ont tendance à réduire leurs rayons consacrés aux jouets de collection. C’est flagrant aux US avec la contraction de l’espace en rayon attribué aux jouets Masters of the Universe et à la rapidité avec laquelle cette gamme passe en clearance (liquidation). Ils sont donc potentiellement moins enclin à pré-acheter des jouets qu’ils vendent moins facilement que prévu.
D’ailleurs, habités par un souci d’efficacité de leurs mètres linéaires de rayons, Target et Walmart scrutent les chiffres de vente de chaque produit et les rapportent au métrage qu’ils leur accordent. Dès que les ratios sont défavorables, zou, on brade ! Et par conséquent on revoit ses plans de commandes pour l’avenir. Ils ont aussi tendance à préférer des jouets peut-être moins bien finis, mais moins chers. Regardez la finition des figurines Masterverse par rapport aux MOTU Classics, par exemple. Vous comprendrez pourquoi Mattel n’a jamais réussi (à l’exception d’une fois en Californie) à fourguer la gamme MOTUC à Target et Walmart. La concentration du marché du jouet entre deux enseignes et demi n’aide pas à trouver une place pour les jouets qu’on adore dans les planogrammes.

Alors, les géants du jouet se tournent assez naturellement vers le système de pré-commande directement via leurs propres plateformes de vente directe ou via les fameuses boutiques fan chanel (comme Mania Toys ou Album en France). Bien sûr il existe aussi des systèmes de prévente chez Walmart et Target Toutefois, si ces derniers ne financent plus la production de jouets, il faut bien se tourner vers une autre source de revenus  – et couper les coûts de distribution ainsi que rétablir les marges – en s’adressant directement aux clients finaux, nous !

Les collectionneurs sont des clients particuliers. Ils sont souvent exigeants [quoique des fois, on se demande], mais ils sont surtout solvables et prêts à pré-financer une figurine pour être sûrs de l’obtenir in fine.

C’est le modèle économique de certains indépendants comme Mezco et Super7 qui proposent rarement des produits en dehors de ce système. C’est aussi ce qui se cache derrière les fameuses et parfois décriées campagnes de crowdfunding menées par Hasbro et Mattel pour faire financer certaines pièces coûteuses.

Souscriptions et faux crowdfunding

J’ai toujours considéré que le système de souscription utilisé par Mattel via MattyCollector puis Mattel Creations et par Hasbro via Haslab et Hasbro Pulse était biaisé et jouait sur les mots. On est loin d’un financement participatif communautaire classique. Ici on ne kickstart pas une jeune pousse. En effet, en souscrivant l’achat d’un exemplaire du playset Eternia ou du HISS Tank on ne fait que sécuriser le financement pour une grande compagnie assurée de ne pas produire à perte. Les quantités produites sont toutes déjà allouées, aucun stock à gérer.

Ce système a l’avantage d’assurer les collectionneurs qu’une fois le projet validé, il sera créé. Pour des fans hardcore qui consacrent une part importante de leur revenu disponible à leur passion, c’est intéressant. Cela l’est tout de suite moins pour des personnes qui ne suivent pas assidument l’actualité du hobby et picorent dans les gammes en fonction de ce qu’ils trouvent en magasin ou sur Internet, souvent en relation avec une franchise empreinte de nostalgie. Mais ces gens-là ne sont pas fiables pour des sociétés comme Hasbro ou Mattel qui préfèrent faire valider leurs projets directement par une communauté d’acheteurs quasi-certains. Si le produit ne les séduit pas c’est qu’il n’était pas assez bon ou pas assez bien calibré.

Le facteur prix est certes important, mais il s’explique surtout par les petites séries envisagées (généralement entre 5-10 000 exemplaires). De toute façon ce facteur entre aussi en ligne de compte pour Target et Walmart qui n’accepteront pas de jouets trop chers de peur qu’ils leur restent sur les bras. Ce qui arrive souvent, d’où les super promos dans les magasins américains qui n’hésitent pas à vendre à perte, eux. Je profite de cette occasion pour attirer l’attention sur le caractère ultra ambigu de ces jouets qu’on trouve en clearance. En effet, s’ils sont bradés c’est qu’ils ne se sont pas vendus et cela échaude les distributeurs qui, étonnamment, n’aiment pas perdre d’argent.

Même pas pour faire plaisir à des collectionneurs de jouets…

Blaster
A suivre

5 comments

Lanace says:

Les fabricants vont finir par passer uniquement par leur propre plateforme (elles apparaissent désormais en Europe).
Nous n’avons pas fini d’être ces bêtes que l’on envoie à l’abattoir de manière volontaire ou pas. Les fabricants créent la rareté (merci Apple) et nous tombons quasi systématiquement dans le panneau (quand je vois les sommes que je mets dans le moderne, sans m’en rendre compte, et que je fais la fine bouche pour des pièces vintage, je me pose des questions sur moi-même…)

jp says:

Bien intéressant comme article, même si ce dernier est principalement centré sur les jouets US (Hasbro – Marvel Legends Black Series et G.I.Joe, et Mattel- MOTU et… à part Mega Construx je vois pas de belles licences ). Par contre, D’autres gros fabricants japonais (Bandai pur ne cité que lui) ne passe pas par la pré vente à part avec Tamashii Nation (lié à Bandai sans être Bandai j’ai toujours pas compris leur explication quand je me suis plains de la distribution de certaines licences) mais les prix pratiqués ne sont même pas plus avantageux que certains revendeurs et certaines licences sont conservés pour le Japon (Gunpla sur les sites de vente comme HLJ) ou l’était (Macross mais c’est très limité et on attend toujours le YF19 ou le YF21 sur le sol Français). A trop attendre ou avoir attendu, certaines passions pour quelques collections/licences pourraient tomber dans l’oubli ou ne plus susciter autant d’envie malgré la passion pour le vintage et les prix qui s’envolent. Ne parlant que pour moi, je pense devenir plus sélectif et exigeant quand à ce que j’attends d’un objet de collection et en particulier lorsque ce dernier coûte de plus en plus cher. Vie les pops. Ca cale les voitures quand on est garé en pente et que le frein à main a du jeu. Faut juste qu’un enfant fan du perso ne passe pas par là.

KissFan says:

Un très bon article qui cible un vrai phénomène, celui des jouets destinés aux collectionneurs adultes. Je pense que cet aspect de la distribution m’avait interpellé pour la première fois autour de 2006, période à laquelle j’avais découvert dans les rayonnages de PicWic les Chevaliers du Zodiaque “neo vintage” comme Shaina, Jabu ou Misty… Je me demandais si cette tendance allait être éphémère ou pas. Quelques années plus tard, force est de constater qu’elle n’a fait que se confirmer.

MacGivre says:

Je ne collectionne pas forcément de jouet pour collectionneur, j’aime les jouets destinés… aux enfants !
Par contre, je trouve que cette année, les rayons en supermarché étaient… tristounes, rien de transcendant, on aurait dit qu’ils avaient sorti les jouets habituels mais en plus grande quantité 🙁
De plus, certains jouets pour collectionneurs comme les Transformers sont en boite fermée, comment savoir si le jouet nous plait ? Il ne reste que les youtubeurs pour savoir si le jouet déballé est intéressant, autant commander en ligne alors…
Et comme tu dis : “Les quantités produites sont toutes déjà allouées, aucun stock à gérer.” ce qui m’énerve également. Si on ne commande pas en précommande, on n’aura jamais le jouet, même pas le droit de voir en vrai ce que donne le jouet en vrai avant de l’acheter, il faut maintenant acheter avant la sortie !
J’ai l’impression qu’on se dirige vers un monde sans magasin, où on devra commander en toute confiance et bien avant la mise en production, voire même au final, imprimer nous-même les proders ! C’est peut-être un signe qu’on est vraiment en période de crise ou de récession, j’ai l’impression que le jouet sera un marché de niche T.T

jp says:

Moi ça fait un moment que je trouve que les rayons sont tristounes, car à force d’avoir acheté du jouet depuis la naissance de mon fils, j’ai surtout constaté que les nouveautés ce sont faites de plus en plus rares (avant on est passé des petits soldats à l’action toys, puis au jouet transformable, puis avec de l’électronique dedans ou filo/télé guidé, mais ensuite… des tablettes 🙁 )

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