Marché du jouet, le miroir aux alouettes des collectionneurs

 

Régulièrement, je reçois des messages soit enthousiastes soit énervés de la part de camarades collectionneurs ou de lecteurs marqués par un gros titre que consacre régulièrement la presse généraliste à la question des achats de jouets par les adultes pour eux-mêmes. Les courroucés concernent en général le terme kidulte qui semble avoir fait florès dans les communiqués de presse et les présentations Powerpoint qui circulent dans le milieu du jouet. Je ne reviendrai pas sur le sujet de la terminologie discutable et de cette tendance insupportable à créer des mots-valises pour catégoriser des phénomènes complexes. C’est à la fois rassurant pour les marketeurs et exaspérant pour les clients en question. Je ne vois pas bien en quoi, la philatélie ou la pêche pourraient être considérés comme des loisirs plus adultes que ma propre collection, mais bon… Le combat culturel n’est pas encore gagné. J’éprouve tout de même une certaine satisfaction à constater que pan du marché du jouet commence à être pris en compte par les acteurs du secteur.

Mais il ne faudrait pas que les effets d’annonces saisonniers (en décembre 2021, le sujet avait été monté en épingle sur le marché français, fin 2022 c’était du fait d’une étude américaine) nous induisent en erreur en confortant nos a priori.

C’est là que les biais cognitifs entrent en jeu. Derrière ces mots savants se cache un phénomène bien connu en psychologie et qui consiste pour un individu à interpréter de manière erronée ou déformée une information du fait de ce qu’il croit, sait ou tient déjà pour vrai.

 

Attention au biais de confirmation

En effet, nous sommes plus sensibles aux informations qui confortent notre propre opinion. Parmi tous les biais qui existent c’est celui qu’on appelle le biais de confirmation. Il fait des ravages sur le net, les uns et les autres relaient cette « information » selon laquelle un grand nombre d’adultes achèteraient des jouets pour eux-mêmes et non plus seulement pour les offrir à des enfants.

Or la réalité est un peu plus complexe.

Dans ses études, NPD considère comme adulte toute personne de 12 ans et plus. Cela donne une perspective intéressante au sujet puisque ces mêmes études écourtent régulièrement l’âge moyen auquel les enfants arrêtent de jouer avec des jouets (au profit d’autres objets, généralement des appareils vidéoludiques).

Attardons-nous sur une citation de l’étude de 2022. “Over the last two years, most of the sales gains in the global toy industry came from the so-called kidults, teenage and adult consumers who enjoy things like playing board games, building sets, puzzles or collecting action figures.”

Oui, vous avez bien lu, la catégorie des jouets pour adulte concerne les jeux de construction comme LEGO (« building games ») et les figurines articulées (action figures) dont les Pop! Funko, mais aussi les jeux de société et les puzzles. C’est dire à quel point on tombe dans le fourre-tout. On a du coup un peu l’impression que le message vise à créer le buzz en agrégeant des données très disparates.  Et nous, biais de confirmation oblige, on tombe un peu facilement dans le panneau.

 

La réalité du marché

Les exemples cités par certains commentateurs et repris dans les dépêches semblent assez hétérogènes et appellent à la vigilance. Ainsi, je me suis rendu compte qu’on ne pouvait pas vraiment comparer les produits collectors entre eux car ils jouent des rôles différents dans les stratégies marketing des fabricants (et des distributeurs). Prenons, par exemple, les exclu d’enseignes négociées par Target ou Walmart aux USA. Ces produits d’appel servent, on l’a déjà vu, à motiver l’acheteur à se rendre dans un magasin de l’enseigne pour qu’il y fasse ses courses en plus, voire en l’absence, de l’achat du produit pour lequel il est venu initialement. La négociation entre les deux géants de la distribution et les fabricants peut être schématisée grossièrement de la manière suivante : Le distributeur s’engage à prendre telle quantité de MOTU Origins ou de Marvel Legends sur l’année en échange d’une petite série exclusive d’une figurine.

Une autre spécificité à prendre en compte réside dans certaines opérations marketing autour des gammes Redline Club (la gamme collector de Hot Wheels) et Barbie Collector. Toutes deux sont pensées comme des arguments publicitaires en faveur de jouets présents massivement dans les rayons américains. Mattel ici fait le choix d’investir des fonds (pour concevoir, développer et fabriquer) de très petites séries dont la rentabilité est impossible, mais dans l’espoir que les retombées presse attirent des clients pour les jouets disponibles de manière classique en rayon.

Le fait que des fabricants de jouets très orientés kids se saisissent de licences pour les adultes comme l’a fait Basic Fun (un autre exemple cité dans les articles de fin 2022) avec Stranger Things recouvre une réalité très différente. En effet, ce fabricant s’est spécialisé dans le revival de jouets classiques (des années 80 notamment) pour les faire découvrir aux jeunes générations. Toutefois, Basic Fun n’a, en dehors du Lite Brite labellisé Stranger Things, aucune  référence destinée aux adultes. Cela sent plus le coup marketing d’un soir qu’une stratégie de long terme. Même si ce fabricant mise quasi exclusivement sur la nostalgie/transmission, il est peu probable que cette initiative débouche sur une gamme collector ou sur une modification de la perception de leurs produits par leur cible commerciale (et encore moins par les distributeurs qui, aux US, font la pluie et le beau temps sur le marché du jouet).

De fait, malgré quelques initiatives éparses, il est peu probable que les rayons de jouets connaissent une évolution favorable à notre hobby dans les prochains mois. Le début de spirale inflationniste impacte le marché du jouet et certains exemples récents de promotions très agressives hors période de soldes (-50% chez Micromania en décembre pour des jouets récents Hasbro y compris sur des pré-commandes, c’est de la vente à perte ?), laisse penser que les stocks peuvent être assez élevés. La question du contenu média (séries et films) qui fera l’actu cette année sera fondamentale. On fera le point sur ce sujet dans un prochain édito.

Blaster
A suivre

4 comments

Julortk says:

C’est tellement vrai la confirmation de l’information seule y lorsqu’elle nous convient. Cela s’aggrave avec le fait de ne garder autour de nous que les cercles de connaissances qui nous correspondent.

Ensuite, il suffit de passer 15 minutes dans un magasin de jouets généraliste pour comprendre que nous sommes très minoritaires. Écoutez les conversations des gens, la plupart du temps, il ne savent pas de quoi ils parlent.

Ca me fait penser qu’un jour, vous devriez faire un article sur le terme de «fan ». J’entends tellement de gens dire « je suis fan » pour un oui ou pour un non. Comme les gens qui se déclarent bilingues alors que moi, quiche en langues étrangères, je parle mieux l’anglais qu’eux.

C’est pas faux, mais j’ai pas envie d’ouvrir la boîte de pandore des « vrais fans », même si les quiches qui se déclarent fans d’un univers ou d’une franchise restent généralement à la surface des choses. Ce ne sont clairement pas des passionnés, comme on pourrait être tenté de traduire le mot fan en français.

mindmaster says:

Merci pour ce très bon article encore une fois, qui remet les choses à leur place. C’est vrai que quand on entend certaines infos « brutes » on est tenté de penser que le marché des collectionneurs est de plus en plus important (biais confirmé par le nombre croissant de fabricants indépendants et de produits pensés pour nous, qui sont en sus de plus en plus détaillés et haut de gamme). Mais il faut regarder la réalité en face : la croissance du marché « pour adulte » est bien plus portée par les ventes de LEGO et de jeux de société que par celles des figurines pour collectionneurs (je ne me prononcerai pas sur les Pop! : certes on en voit dans de plus en plus d’endroits, mais les rayons en bougent pas trop et elles sont régulièrement en promo. Or je ne sais pas si ces rabais sont destinés à créer des produits d’appel, à écouler des invendus ou les deux). d’ailleurs, l’importance relative de ces produits dans les rayons et les catalogues de Noël est un signe bien plus révélateur : les LEGO ont tout u rayon à eux, et les produits pour adultes y sont de plus en plus représentés Les jeux de société, autrefois relégués en fond de magasin, sont maintenant mis en avant et exposés sur des présentoirs dédiés en milieu d’allée, pour être immanquables. A côté de ça, les Black Series, Marvel Legends, MOTUO et autres sont dans un petit coin, et le manque de variété et de renouvellement est criant. Et quand on apprend (chose que j’ignorais, merci encore Blaster), que l’on est considéré comme « collectionneur adulte » à partir de 12 ans, âge auquel on achète plus des Pop! ou des LEGO que des figurines, cela relativise encore notre importance sur le marché global du jouet.
Malgré tout, biais de confirmation à part, on peut tout de même ce me semble voir une inflexion de la tendance, preuve étant l’apparition dans les catalogues de jouets de Noël dernier de la section « grands enfants » ou adultes, qui présentait notamment les MOTUO. Comme tu le dis, Blaster, je pense aussi que les prochains mois vont être déterminants pour beaucoup de licences « collectionneur ». Car tu mentionnais les promos Micromania, mais le Disney Shop a fait la même chose pendant les mois de novembre et décembre, faisant se succéder les promos à un rythme et pourcentage inédits, avec notamment les ML Black Panther et le Black Series à -50%, ce qui m’a permis de prendre la série pas cher mais m’a rendu assez circonspect sur l’avenir de la distribution des ML par Disney Shop après les mauvaises ventes des Éternels.

Et Julortk, quand tu dis que les gens ne savent pas de quoi ils parlent, je pense que tu inclus également les vendeurs. Moi aussi, lorsque je suis dans les rayons de magasins de jouets, j’aime bien laisser traîner l’oreille, et il m’est arrivé un bon nombre de fois de renseigner non seulement des gens qui avaient l’air perdus, mais même des gens auquel le vendeur ne savait pas répondre (à propos de divers personnages d’une licence, par exemple), ou répondait mal, montrant une méconnaissance totale de la licence, voire du produit qu’il avait lui-même mis en rayon.

Vous savez dans une vie numérique précédente, invité par une grande marque qui présentait son assortiment de Noël (en octobre 2014) à la presse, les chargés de marketing de la boite mettaient en avant leur gamme SW car « un nouveau film allait sortir en décembre ». Je me suis permis de les corriger.

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