Les yeux dans les yeux de l’écran (7ème partie : de Predator à Daredevil)

La question de la vision dans les films de genre

Précédemment dans « Les yeux dans les yeux de l’écran » : « on se dira quand même qu’on pourrait faire chic par la même occasion et donc un peu de grec, en désignant la vision normale ou censée l’être par le terme le plus concret c’est-à-dire omma, et la vision transformée avec plus ou moins de bonheur par le mot opsis. »

Voir le son

Le Predator voit l’homme qui rit et le rire en même temps, mais c’était déjà le cas de la pellicule avec bande son optique
(crédit photographique : Twentieth Century Fox Film Corporation)

La vision du Yautja est définie dès le début de la licence Predator et clairement associée à la perception de la chaleur, d’où le « he couldn’t see me » lâché par son premier adversaire après un bain de boue froide, mais elle est aussi associée à un Bio-Helmet modifiant les fréquences, avec ce rouge que l’on retrouvera entre autres chez les Regents de Battleship et chez les Aliens de Beyond skyline. La grande originalité de la créature est donc de posséder plusieurs visions, de pouvoir voir les ultraviolets ou les rayons X mais surtout le son, dans une sorte de multi-opsis avec opsis acoustique voire effet McGurk. Il entend et voit ce qu’il entend, percevant les vibrations comme des sphères vibrantes de couleur jaune, et les paroles sous forme d’une bande son constituée de sonagrammes horizontalement symétriques, sans parler du camouflage optique qui déséquilibre encore plus son rapport aux proies. Cette ouïe visuelle est d’ailleurs associée au phénomène de rémanence propre à la vision, ainsi qu’à la mémoire ou à un équipement de l’armure, car le Yautja est capable de répéter de courtes phrases, même si elles sont entendues et reproduites dans une tonalité inférieure avec écho.

Les yeux de Batman ne valent pas ceux d’Iron Man, et c’est peut-être vrai aussi pour les acteurs respectifs mais c’est une autre histoire
(crédits photographiques : Warner Bros. Entertainment Inc., SND)

La capacité ophtalmo-acoustique du Yautja rappelle ou annonce la combinaison sonar de Batman, du moins les verres soniques qui apparaissent dans Batman forever pour piloter le Batarang des yeux, voire ceux qui donnent un regard blanc au super-héros dans The dark knight après un Batman begins où le parallèle avec la chauve-souris a été lourdement appuyé, alors même que la drogue extraite d’un coquelicot bleu de l’Himalaya occasionnait des visions au sens second. Elle souligne en tout cas la différence entre l’homme et le surhomme, en annonçant peut-être l’omma très modifié d’Iron Man, même s’il s’agit de ne pas manquer une occasion de montrer le visage de son interprète, quitte à projeter dessus les divers reflets du casque ou de son appareillage. Tony Sark avait pourtant annoncé « I had my eyes opened », mais il n’en crée pas moins une réalité augmentée avec scannage et reconnaissance de l’environnement, ainsi qu’une connexion permanente à J.A.R.V.I.S., donc à une interface utilisateur qui n’existe que par la voix, et qui prendra le nom de Vision une fois devenue une opsis acoustique incarnée.

Daredevil ne peut pas voir comme sa dulcinée lui sourit, mais il le voit quand même parce qu’il est super lui aussi
(crédit photographique : Twentieth Century Fox Film Corporation)

La capacité du Yautja annonce surtout la manière de voir dans Daredevil, dont le super-héros aveugle utilise l’écho de la pluie pour percevoir son environnement, ce qui permet à sa dulcinée de lui faire le coup du parapluie pour lui dire que tout est fini. Les autres super-héros à la vue particulière ne l’associent jamais directement à l’ouïe, pas plus Cyclops dans la licence X-Men que Superman et sa super-vision multitâche, alors qu’on connaît l’usage des rayons X en musique ou des radios pour y graver des vinyles. Au contraire, et si la vision des Raptors dans Jurassic World est annulée et remplacée par leurs caméras portatives, alors que leurs grands yeux justifieraient une grande acuité visuelle, on peut imaginer la vision de l’Indoraptor dans Jurassic World: Fallen kingdom, et pencher pour une opsis mixte puisqu’il aperçoit le laser pointé mais ne réagit qu’au son déclenché. Tout cela ne vaut pas ceux qui sont capables de se diriger au moyen des ondes comme Daredevil, des Bioraptors qui voient dans Pitch black grâce à des ultrasons mais sont limités dans leur champ visuel par la conformation de leur crâne, aux humains parasités de The cave qui « see with sound » avec une opsis circulaire et cerclage pulsé quand ils déclenchent l’écholocalisation.

Les semaines passées : de la vision du mal à celle du mort, de la vision du matériel à celle du tout, entre deux eaux, entre chien et loup, entre chair et métal, entre mecha et kaijū

La semaine prochaine : voir sans yeux (d’Alien à Star Wars et conclusion)

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