« Troisième et dernière partie du travail de Nicolas Fleurier sur la réverbération culturelle. Dans cette ultime série d’analogies officieuses, vous découvrirez de nouveau comment la licence Alien a été une matrice plus ou moins assumée.
Je vous invite à découvrir ou redécouvrir la première ainsi que la seconde production qui précèdent la publication d’aujourd’hui. La rédaction et moi-même remercions chaleureusement Nicolas Fleurier pour le partage de ses travaux dans FulguroPop. »
Dans l’imaginaire ludique : « now all wee need is a deck of cards »
La réverbération culturelle peut fournir le matériau de base d’une synthèse d’appui, et c’est le cas pour de nombreux jeux de table à thème, qui parviennent souvent à créer de l’original à partir du connu, par cette sorte de brassage que les rééditions ou les extensions facilitent. Le « JCC » Magic the gathering est ainsi venu deux fois à emprunter au Xénomorphe et à son univers, la première quand l’espèce des Sliver a été introduite, et la seconde quand la Phyrexia a été définie. Car les Sliver sont des créatures à esprit de ruche dirigés par une reine capable d’en enfanter, et leur aspect physique se caractérise par des traits référentiels : une tête allongée et dépourvue d’yeux, un corps au cuir renforcé et une longue queue pointue, sans parler de l’existence d’un Hive ou d’un « Acidic sliver », ni du « Spitting sliver » ou du « Shifting sliver » aux capacités rappelant celle des Drones d’Alien: Resurrection. Quant à la Phyrexia, il s’agit d’un plan et même de deux, donc d’une sous-partie thématique de l’univers ludique, et ces plans sont ceux de la vie biomécanique, comme l’indique du reste le Planeswalker’s guide to New Phyrexia : « Phyrexia is a civilization based on physical qualities: flesh and metal. » Le jeu était alors devenu assez autonome pour ne pas s’inspirer grossièrement des travaux de Giger, et la licence Alien avait déjà été exploitée sous la forme d’un « JCC » avec Aliens Predator avant de l’être de nouveau avec Legendary encounters, mais même certains textes d’ambiance font l’effet de références, en particulier celui de la « Mutagenic growth » pervertissant les propos tenus par Ash : « Sympathy is for weaklings. Whoever survives, wins. »
Dans la fiction littéraire : « you still don’t understand what you’re dealing with »
La réverbération culturelle peut fournir son substrat à une œuvre sans soutènement visuel, et laisser dans ce substrat des éléments en quelque sorte infalsifiables, qui sont vite interprétés comme de simples clins d’œil quand ils sont fléchés par honnêteté ou par réflexe, alors qu’ils sont le signe d’une véritable assimilation. Stephen King lui-même s’est laissé prendre au jeu, pour presque renier le résultat par la suite en disant avoir écrit sous oxycodone quand il imagina Dreamcatcher, dans lequel on découvre, entre autres références plus ou moins directes, un personnage surnommé Jonesy et un « vaisseau spatial naufragé », tandis que le nom Ripley devient un mot fourre-tout qui désigne une infection, son vecteur et ses victimes : « Les techniciens l’avaient baptisée le champignon Ripley, s’inspirant de la supernana que jouait Sigourney Weaver dans la série des Alien. » Mieux, les créatures telles qu’elles sont perçues sont des extra-terrestres qui se servent d’humains comme hôtes, et qui entretiennent une certaine parenté avec le Xénomorphe ou son cycle de vie, étant donné qu’elles prennent plusieurs formes dont celle d’œufs, et celle d’un « implant » aux allures de lamproie ressemblant au Chestburster ou au Hammerpede, si bien que l’adaptation cinématographique a été précédée d’une promotion parlant en toute logique d’« alien invasion ». Mais il est peut-être plus intéressant de s’attarder sur l’infection ou plutôt son vecteur, car cet état primaire des créatures est une sorte de moisissure qui envahit les humains si elle est inhalée, à la façon des spores donnant naissance aux Neomorphs dans Alien: Covenant. Cette continuité souterraine, étant donné que Dreamcatcher et son adaptation ont précédé le film, est assez rare, au point qu’il ne s’agit peut-être que de la résurgence d’une idée récurrente, même si l’un des coscénaristes du dernier Alien a travaillé sur la série Under the dome, et même si un attrape-rêves peut être aperçu dans le cockpit du Nostromo tel qu’il a été recréé pour Alien: Isolation.
Epilogue
La particularité des produits non dérivés, comme pourraient peut-être s’appeler ces productions qui ne sont ni des faux ni des originaux, est sans doute de s’affranchir des contraintes ou des facilités propres aux licences, en se démarquant de toutes ces marchandises dont le rapport à leur source se réduit à une simple étiquette. Le domaine qu’ils forment est difficile à cartographier et même à délimiter, alors qu’il s’oppose à un Canon assez soigneusement défini par les ayants-droit. Il faut dire que le Xénomorphe et son univers s’adaptent particulièrement bien à des contextes variés, étant donné ce principe établi dès Alien3 selon lequel la forme de la créature dépend de son hôte, mais aussi la reproductibilité du schéma narratif d’Aliens ou la polysémie du mot « alien ».
Il n’en faut pas moins que les émules agissent à couvert en créant la connivence et le doute à la fois, donc en rendant la relation évidente pour le spectateur mais pas pour le propriétaire de la licence, ou du moins à l’équivalence d’une publicité dont le coût reviendrait à la gratuité des droits. C’est la limite floue au-delà de laquelle la source n’est plus identifiable, ou la contrainte forte qui régule la créativité, mais toujours moins que ce qui va susciter l’attente de la constance chez le consommateur de marques. C’est de toute façon le prix à payer pour que la réverbération culturelle contribue à la survivance de son sujet dans l’inconscient populaire, sur le modèle d’un mythe dans une mémoire collective, en prouvant par là-même que l’interprétation n’est pas toujours l’imitation et que l’authenticité n’est pas toujours l’originalité.
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