La licence des Maîtres de l’Univers est depuis quelques années consommée à toutes les sauces, pour le meilleur comme pour le pire. J’observe quotidiennement Musclor, Skeletor et leurs acolytes respectifs – lesquels ont bercé une partie de mon enfance – être déclinés frénétiquement aussi bien à l’écran que dans les rayons des magasins de jouets, avec quelque fois une sensation d’indigestion.
Je me souviens du tout début des années 2000 en France où les Maîtres de l’Univers étaient assez undergrounds et n’intéressaient finalement qu’une poignée d’illuminés dont je faisais modestement partie. 2002 et 2008 constitueront deux dates clefs avec un double retour de la licence, notamment à travers le portage 200X puis Classics.
On peut considérer, à juste titre, que la visibilité de la licence des Maîtres de l’Univers a été quasiment ininterrompue depuis sa naissance. De l’œuvre originale en passant par la temporalité New Adventures jusqu’aux deux références précédemment citées, il n’y a finalement pas eu une seule décennie depuis l’aube des années 80 qui n’ait pas connu une vision de Musclor.
Selon cette idée, 2018 sera une date particulière car elle introduira une nouvelle version de l’œuvre She-Ra, la Princesse du Pouvoir. C’est Netflix qui va supporter la diffusion de ce D.A développé notamment par Noelle Stevenson. Ci-dessous un prélèvement évoquant la vision de celle-ci concernant une partie de l’œuvre :
“Le fait que Bow ait deux papas, ou que Double Trouble soit gender fluid, ça fait sens dans ce monde et dans l’histoire qu’on a voulu raconter. Et avec un peu de chance, si des enfants qui regardent s’interrogent sur leur propre identité, ça les aidera à y voir plus clair. Et pour celles et ceux qui ne sont pas dans ce cas de figure, ça leur donne quelques bases et des éléments de compréhension si un jour ils ou elles deviennent ami·e·s avec des personnes qui le sont”, déclarait Noelle Stevenson dans une interview pour l’AV Club.
Il ressort de ces quelques lignes une volonté que l’on pourrait qualifier de pédagogique à travers l’utilisation d’un concept, celui de l’inclusivité. En montrant dans un support destiné majoritairement à des enfants des sexualités et des interactions sociales hommes/femmes plurielles, on tendrait à apporter une certaine ouverture d’esprit à une jeunesse qui deviendrait davantage capable de se comprendre comme de comprendre l’autre avec sa ou ses différences. Gardons en tête cette idée d’inclusion pédagogique et poursuivons.
2021 : l’auteur Kévin Smith va développer une nouvelle série animée estampillée Maîtres de l’Univers, laquelle sera diffusée sur Netflix. Parmi les personnages qui seront représentés à l’écran, on comptera une re-visitation de King Grayskull. Pour rappel, ce dernier qui est l’ancêtre de Musclor – et par essence du roi Randor – appartient à l’ère Pré-Eternienne de l’œuvre.
King Grayskull avait été introduit à l’écran en 2002 selon le portage animé de Mike Young et il apparaissait comme un colosse musculeux à la longue chevelure blonde. Sa cape était dotée d’une fourrure couvrante pour les épaules et deux grandes mèches de cheveux étaient rassemblées de chaque côté de sa tête par des lanières de cuir.
Lorsqu’on place en correspondance cette vision esthétique du King Grayskull 200X avec le roi Randor (King Randor en V.O) et Musclor, il apparaît une filiation parfaitement cohérente. De plus, les origines de Musclor sur le plan conceptuel font appel à des références nourries, entre autres, par la culture barbare, celte, viking ou plus largement nordique.
La version Revelation de King Gryskull proposera un design globalement identique à celui de Mike Young à un élément près, l’ancêtre de Musclor est désormais noir, ou racisé comme certains disent aujourd’hui. Plusieurs questionnements me sont venus à l’esprit lorsque j’ai découvert ce portage de King Grayskull, lesquels sont à mettre en perspective avec le background Netflixien de She-Ra.
D’abord est-il possible de penser l’inclusion à travers l’exclusion ? Car si je me réfère à la modification ethnique de King Grayskull, nous entrons clairement dans le cadre du remplacement, du gommage. L’ajout peut être une conceptualisation valorisante des choses là où l’effacement pourrait être contreproductif.
En effet, retirer, notamment dans le domaine artistique, quelque chose pourrait être perçu comme une exclusion mais également comme une forme de révisionnisme. Cela m’évoque en filigrane cette triste mode contemporaine qui consiste à déboulonner des statues comme pour effacer fanatiquement un passé.
Ensuite, et c’est tout de même un point crucial lorsqu’on se rattache à une œuvre déjà existante, il me semble nécessaire d’être cohérent. Alors faut-il sacrifier le bon sens au profit de l’inclusion ? A titre personnel, je dirais la chose suivante à tous les auteurs et autres personnes en charge du développement d’œuvres de fiction : mesdames, messieurs, créez de nouveaux personnages/univers pluriels, fabriquez de nouveaux héros qui soient divers, imaginez des backgrounds inédits.
Tout cela me semble être une bonne chose si tant est que la motivation ne soit pas idéologique. D’ailleurs, qu’aurait on dit si Pinçor (Clamp Champ en V.O) était devenu blanc dans la série Revelation ? J’aurais été le premier à être dans l’incompréhension.
La potentielle bienveillance de certaines démarches ne doit pas être contreproductive/anti-pédagogique au point d’oublier le bon sens et pire, de nourrir possiblement des accents revanchards, des idéologies ou des propagandes.
Epilogue
Le sujet que j’ai voulu aborder dans cette petite production est délicat car il pourrait faire appel à des excès que je ne souhaite évidemment pas. Je pense que le progrès est nécessaire lorsqu’il ne devient pas le progressisme. La conservation est primordiale lorsqu’elle ne devient pas le conservatisme.
Aussi il faut savoir se placer avec bon sens et bienveillance entre ces deux mesures, en prenant soin d’un patrimoine tout en apportant de nouveaux modèles pluriels. Merci à tous pour vos lectures.
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On ne peut enlever le fait que ce King Grayskull (Revelation) a une classe folle.
Après pour le reste, vouloir modifier un livre, une œuvre quelque soit son support, titre, personnage ou tout autre chose est juste une aberration et cela quelqu’en soit la raison. Idem pour transformer une langue/écrire pour “inclure” la diversité.
Cela s’appelle “ré-écrire l’histoire”, notion aimée par bon nombre de tortionnaires et dictateurs.
Ce n’est pas en gommant et en effaçant ce qui s’est passé que les choses changeront en mieux. Il ne faut pas juger l’histoire/passé avec la vision du moment, mais en remettant dans le contexte de l’époque avec les bons et mauvais côtés. Bref être observateur et non juge.
C’est en se rappelant du passé (bon comme mauvais) qu’on évite de refaire les mêmes erreurs.
Les babtou-fragiles, les adeptes du woke, les pseudos défenseurs… ne sont que des personnes avec des œillères s’offusquant du moindre pet de souris et le transformant en drame.
C’est justement en mettant en avant qu’on catégorise et exclut encore plus les personnes. Ce sont ces mêmes personnes qui clament haut et fort qu’il ne faut pas stigmatiser et mettre les gens dans des cases.
Ils se mettent ensuite dans des catégories qu’ils se sont créées eux-mêmes pour faire partie d’un groupe/appartenance, donc au final se sont enfermés volontairement.
King Grayskull a effectivement une classe folle, qu’il soit noir ou blanc d’ailleurs, peu importe. La vision du portage de Mike Young y est pour beaucoup. Je souscris globalement à tes remarques ma Furynette, essentiellement en ce qui concerne la contextualisation. C’est un concept déterminant lorsqu’on souhaite évaluer quelque chose qui appartient au passé. Non pas pour justifier ou encore excuser mais plutôt pour comprendre. Il y a des environnements, des éducations, des contextes justement qui ont donné naissance au meilleur comme au pire. Il faut savoir les appréhender avec lucidité, impartialité et mesure.
Les termes “babtou-fragiles” et “woke” entrent, à mes yeux, pleinement dans la catégorie des symptômes. Ils sont d’abord symptomatiques d’un langage qui évolue avec des ajouts notamment américanisés. Notre belle langue française est tellement riche en nuances que nous avons suffisamment de mots à disposition qui puissent correspondre aux termes précédemment cités. Mais ce qui est davantage inquiétant, ce sont les notions qui découlent de cette novlangue, c’est-à-dire une certaine dépréciation ou un militantisme idéologisé au possible.
L’écriture inclusive est peut-être la meilleure illustration d’une de mes réflexions dans l’article, à savoir une démarche bienveillante qui se matérialise en quelque chose de contreproductif. A titre personnel, je considère l’écriture inclusive comme une volonté louable de rééquilibrer la présence du masculin et du féminin dans la langue française. Ceci étant dit, lorsqu’on observe le résultat concret – à l’écrit – de cette idée, et bien force est de constater que l’on obtient quelque chose de disgracieux, qui apparaît très peu ergonomique, avec un manque de fluidité probant. Ce n’est qu’un avis bien entendu.
Merci Nicko pour cet article Ô combien intéressant. Tous ces changements au titre de l’inclusion m’horripilent : quelle paresse effectivement de modifier les personnages du passé au lieu d’en créer de nouveaux.
Ce King Grayskull noir a un super look mais sa filiation avec Musclor ne saute pas aux yeux !!! Ça me fait penser aux dieux nordiques du film Thor et son casting pluriethnique…
C’est moi qui te remercie Seb pour ta lecture et ta contribution 🙂
Effectivement, et je le répète, ce King Grayskull Revelation est magnifique, au même titre que son prédécesseur blanc. Ce qui pourrait m’inquiéter, c’est d’imaginer que l’on modifie la couleur de peau d’un personnage non pas par paresse mais par idéologie, c’est-à-dire selon un prisme “décolonialiste” nourri par un militantisme fanatisé. J’espère sincèrement que ce n’est pas le cas.
Je partage à 100% ton analyse et j’ajouterai que Netflix est le héraut du plus que politiquement correct sur les séries qu’ils produisent et programment pour le public, principalement les enfants à leur insu.
Ça en devient ridicule…
J’avais déjà relevé le King Grayskull et Andra noirs (le lieutenant Andra est blanche dans les comics originaux) mais ce ne sont pas les seuls malheureusement.
Chaque fois qu’ils ressortent une série du placard ou adaptent un comic, BD ou jeu vidéo, ils ne peuvent s’empêcher d'”innover”.
Dernier méfait en date : Albert Wesker noir dans la série Resident Evil…
Je ne vais pas rentrer dans le débat mais juste préciser qu’on peut très bien créer des nouvelles séries abordant ces “thèmes” et cette “idéologie” mais de grâce qu’ils ne chamboulent pas des univers déjà existants et connus.
Merci beaucoup Likmus pour ta présence et ta lecture 🙂
Ton intervention (comme celle de Seb) soulève la problématique de la cohérence. La filiation d’un personnage, lorsqu’elle est matérialisée à l’écran par d’autres protagonistes, est un élément qui fait sens. Dans le cas de King Grayskull, le roi Randor, He-Ro, Queen Marlena, Adora ou encore Musclor incarnent cette filiation. Ceci dit, tout est concevable et bien des éléments, tirés ou pas par les cheveux, pourraient justifier la couleur de peau du King Grayskull Revelation. Au-delà de ces pérégrinations, je me pose toujours les questions suivantes concernant un personnage historiquement noir qui deviendrait blanc : comment cela serait perçu par notre société moderne ? Quel en serait le véritable intérêt ?
Netflix n’entrera pas dans mon domicile. C’est un support, une machinerie parfaitement rodée qui assure une passivité, l’annihilation de toute productivité pour l’humain. Au risque d’apparaitre comme un vieux c.., ce que je suis probablement déjà, je préfère lire, écrire, prendre des notes et rester “connecter” au réel.
Merci de nouveau Likmus pour ton intervention 🙂
AMEN…
🙂
Coucou Nicko !
Mon dieu que cela fait du bien de lire des phrases et des idées pleines de bon sens… mais nous sommes les derniers dinosaures à avoir de telles pensées, le travail est presque achevé.
Je suis très heureux de te lire Jérôme ! 🙂
Je t’avais dédié un FulguroZik il y a quelques semaines car lorsque je parle de musique dans le magazine, ton nom résonne comme une évidence : https://www.fulguropop.com/fulgurozik-i-cant-wait-stevie-nicks-rock-a-little-1985/
Merci de considérer que ce petit papier et les commentaires qui y sont associés relèvent du bon sens. C’est un peu le fondement de ma modeste production qui conduit à certaines réflexions comme à des questionnements ouverts. Rien n’est fermé et surtout chaque vision compte. La mienne est celle que j’ai partagé publiquement et elle repose effectivement sur ce que je pense être du raisonnement. Comme je l’ai déjà écrit, certaines démarches bienveillantes et nourries de bonne volonté sont parfois contreproductives. Ce n’est qu’un avis encore une fois et j’aurais aimé lire dans les commentaires des raisonnements/explications qui justifieraient pleinement la modification ethnique du King Grayskull Revelation, ce qui permettrait éventuellement de penser le sujet différemment. Je suis toujours enclin à voir les choses autrement.
J’espère te lire régulièrement dans FulguroPop Jérôme 🙂
Encore un superbe article signé par l’homme au slip d’or, qui amène une fois de plus à la réflexion. Mais vu que j’en suis dépourvu, faute à une séance de travail plus poussée que d’ordinaire, je consens à participer au mieux de mes capacités. Croix de bois, croix de fer, je verrais c’que j’peux faire.
Bien évidemment qu’il en faut de la diversité, Nicko et moi-même en sommes des représentants de part nos origines respectives et variées. Mais celle-ci doit elle être manifestée à n’importe quel prix ? Personnellement je pense que non car comme cela a été mentionné par un lecteur avisé, il faut de la cohérence. Et c’est cette même cohérence qui amènera à une œuvre de la justesse et de la qualité. Je vous donne un exemple : imaginez si les cinq Samouraïs de l’Éternel devenaient tous noirs. Vous me direz fichtre, il n’y en avait pas dans le Japon féodal, et peut-être avez-vous raison. Le problème n’est pas là, il est qu’à l’origine dans l’animé ils sont blancs et que la plupart sont des descendants de japonais connus. Hormis une histoire d’adoption, je ne vois pas comment le problème de cohérence serait réglé. Dans ce cas il vaudrait mieux partir sur une création originale, qui aurait pour idée de créer un samouraï noir.
Ça tombe bien, il y a Afro Samouraï.
Merci mon Géronimo pour ta lecture et ton appréciation favorable 🙂
C’est une évidence que je partage avec toi, il faut de la diversité et de la représentativité. Mais sans pour autant que cela ne devienne un dogme, un systématisme qui fragiliserait une cohérence capitale dans une œuvre. Je pense également que nous sommes très chanceux toi et moi d’appartenir à un métissage culturel riche, lequel nourrit un regard très ouvert sur le monde 🙂
Une question de plus en plus épineuse, et Nicko a la pertinence de la poser en proposant ce qui semble être la seule réponse possible : plutôt faire que refaire en amendant. Mais le débat ramène presque toujours à l’opposition entre un personnage tel qu’il a été défini par ses créateurs, et tel qu’il est censé être dans un contexte différent. Car l’autre question est la question commerciale : qu’est-ce qu’une Annie racisée ou un James Bond féminisé apportent, hormis de nouveaux clients ? Quoi qu’il en soit, merci pour cet article aussi bienvenu que bien équilibré !
Merci Nicolas pour ta lecture et ton précieux retour 🙂
La mesure est capitale lorsqu’on s’adonne à la réflexion. C’est un gage de prudence qui pourra potentiellement éviter certains raccourcis. Et l’équilibre que tu évoques Nicolas est peut-être aussi celui qui place le curseur entre la tête et le cœur. Encore une fois, certaines démarches pleines de bonne volonté peuvent être contreproductives à bien des égards. Trahir les idées du créateur d’une œuvre est vite arrivé et nourrir des antagonismes politisés par une idéologie fanatisée constitue également un autre risque. Quant à la question commerciale, je crois que les performances comptables intimement liées au financier auront toujours le dernier mot dans notre monde. C’est dommage.