« This is one night I wish I smoked and drank. »
Grace Kelly, récompensée meilleure actrice à la 27ème cérémonie des Oscars
« L’Oscar, enfin », et cette caricature évidente, où Spielberg et ses statuettes pour Schindler se tenaient sur scène, devant l’œil acéré d’un dinosaure gigantesque. Il y a trente ans ou presque, Jurassic Park datant de 1993 mais les premiers Oscar du réalisateur de 1994, Le Monde avait annoncé le futur du cinéma américain. Car l’œil est devenu plus gigantesque que jamais, regardant même depuis le passé dorénavant, du moins quand Laurie Strode et Short Round sont montés sur scène, par le miracle ascensionnel d’un film plus foutraque qu’inventif. Spielberg, lui, est resté dans la salle cette fois, les miettes des Oscar techniques revenant à Avatar 2 et Top Gun 2, alors qu’il a une fois de plus réalisé l’irréalisable, un film testament taillé dans le marbre dont ne sont pas faits pas les piédestaux.
On a si souvent reproché leur anaérobie économique à ces cérémonies suintant la consanguinité professionnelle, qu’on s’est habitué à les regarder comme la grenouille impassible dans son bain chauffé depuis trop longtemps. On a pris pour des exceptions opportunistes les signaux qui ont commencé à s’accentuer avec Heath Ledger, surcoté grâce à un film surcoté et grâce à son suicide, qui oblitérait toute autre possibilité de le récompenser. Et des deux Spielberg, celui du parc et celui de la liste, il n’y en a plus qu’un seul qui a désormais sa place sur scène, ou même aucun. Sur cette scène en carton où une gifle a plus d’importance qu’un talent, où la fausse bonne idée l’emporte sur la création et la performance sur le métier de comédien, il y a surtout beaucoup de vide, et beaucoup de temps perdu pour égrener les vingt-quatre catégories de « merit », définies en oubliant qu’un film formait un tout, et qu’un bon film méritait peut-être tout.
Le cinéma populaire a gagné ou presque, car ce n’est pas les Marvel Studios qui ont raflé la mise, mais les frères Russo qui en viennent et une alternative au Multiverse, ce qui n’est ni bon ni mauvais, même si cela suppose une approche ajustée et une redéfinition du renouvellement. Mais il faut des prix, il faut des notes, car autrement, il faudrait quelque chose de bien plus subtile, pour savoir ce qui est réussi et ce qui ne l’est pas. Il faudrait des professeurs particuliers ou des critiques objectifs, et avoir confiance en eux, mais avoir tout de même le temps de les écouter, à défaut de pouvoir faire le tri soi-même. Il faudrait une éducation, et ce serait oublier qu’il s’agit aussi de vendre, que les vendeurs de soupe culturelle parlent de contenu ou de flux quand il s’agit encore parfois d’œuvres, et que la nouveauté compte davantage que l’originalité.
Après tout, le sportif ne sait pas qu’il est bon avant d’avoir remporté la médaille, même si elle l’a été par un autre avant lui et le sera après sans espoir de progrès hormis le record, et sans aucun espoir d’invention hormis pour les Fosbury. Ce qu’il faudrait au moins, c’est connaître les critères de cette académie auto-proclamée, dont les statuettes en plaqué or ont tant de poids jusque dans le pays qui avait inventé le cinéma. A l’heure des « sensitive readers » qui font corriger Roald Dahl, ce qui n’est qu’une autre manière d’interdire, elle a soigneusement communiqué sur sa volonté de valoriser la diversité dans le choix du meilleur film, ce qui est une autre manière de disqualifier. Mais il ne s’agit là que de la sélection, et pour le reste, on ne sait toujours pas si tous ses membres font au moins le minimum syndical de visionner tout ce qui est sélectionné.
Alors, on se rabat plus ou moins volontairement sur la mousse de la vague annuelle, on se demande quelle starlette en manque de talent et de nomination a abandonné ses talons sur le tapis rouge pour quand même faire parler d’elle, et qui furent les « best dressed men » de ceux qui sont censés être accessoirement des acteurs. Le jeu préalable des influences croisées échappe au commun des mortels, au spectateur qui se retrouve dans la position de l’électeur oublié dans sa démocratie représentative, sauf quand il faut voter c’est-à-dire payer sa place. Le jeu des imitations par contagion ne lui échappe pas en revanche, chaque pays un tant soit peu cinéphile ayant désormais sa petite cérémonie d’autocongratulations, des Lola aux David en passant par les César, qui ont oublié Godard en particulier et les femmes en général. Mais la copie ne valant pas l’original, on y trouve souvent cette sorte d’élitisme d’arrière-garde dont les Américains se sont défaits pour le meilleur et pour le pire, cette espèce de volonté de montrer que les professionnels de la profession savent ce que ceux qui les font vivre ne savent pas.
A l’heure des jurys de gens connus qui notent parce qu’ils aiment ou qu’ils n’aiment pas, où le goût est la chose du monde la moins bien partagée, la valeur d’un prix est celui que lui accorde le public, mais l’Oscar vit de sa réputation, et l’académie tient de cette réputation le droit d’imposer ses vues. C’est une spirale du silence qui rend l’opinion minoritaire forcément fausse, car elle se double maintenant de la garantie du nombre, portant à rire de ceux qui préfèrent Nicholson à Ledger ou des Français qui sont allés voir les Fabelmans en boudant Everything everywhere, ce qui n’est pas étonnant dans ce pays paradoxal qui aura fait l’art et essai comme la comédie. Les Oscar sont un poison qui coule dans les veines du cinéma, et pourtant, et bêtement, on est content pour Jamie Lee Curtis ou Ke Huy Quan, comme ceux qui sont contents pour leur équipe alors qu’ils ne jouent pas dedans. On est content mais on se demande si le sourire du perdant n’était pas destiné à l’œil géant, dont les larmes cristallisées seraient le logiciel à scénarios de Syd Field ou l’algorithme de recommandations de Netflix.
Générique de fin : Noli IP Solution PC, BestMediaInfo, Les Publications Condé Nast, Financial Tribune Daily
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