FulguroTube :  »Il voulait manger un p’tit bout sur le pouce »

 

La période Roger Moore de James Bond est ma favorite. Pourtant les puristes s’accordent à dire que Sean Connery est l’incarnation absolue de l’espion britannique avec une figure qui affiche un subtil équilibre entre raffinement, force, charme, sensibilité, humour et intelligence. C’est très certainement vrai mais une sensibilité totalement subjective et intimement liée à mon enfance fait de Roger Moore ma représentation sacrée de James Bond.

Aujourd’hui je sais que cet affect prend sa source dans plusieurs éléments dont le traitement des antagonistes que l’espion britannique affrontera durant cette période. Max Zorin, May Day, Karl Stromberg, Francisco Scaramanga, Tee Hee, le Docteur Kananga, Hugo Drax, voilà des figures clairement originales à mes yeux et devenues inoubliables.

Mais si je devais retenir un antagoniste en particulier, et précisément dans la catégorie des gros bras, ce serait sans conteste Requin ou Jaws en V.O. Ce colosse aux dents d’acier, incarné par l’acteur Richard Kiel, me fascine depuis l’enfance en ayant suscité différents sentiments selon l’âge auquel je le (re)découvrais, de la peur à l’admiration.

Aussi j’ai choisi aujourd’hui d’évoquer une séquence du film L’Espion qui m’aimait en isolant la scène où James Bond fait face à Requin au sein d’un train de nuit. Bonne lecture à tous.

 

 

The Spy who loved me

L’opus L’Espion qui m’aimait est clairement mon favoris dans la période Roger Moore même si Dangereusement vôtre (John Glen – 1985) et Vivre et laisser mourir (Guy Hamilton – 1973) le suivent de très près. Plusieurs éléments m’ont séduit dans le film L’Espion qui m’aimait réalisé par Lewis Gilbert et sorti dans les salles en 1977.

D’abord l’univers sous-marin omniprésent avec notamment la base submersible de Karl Stromberg baptisée l’Atlantis. Il en ressort une thématique forte, celle du mythe de l’Atlantide, entre châtiment divin et sacralisation des fonds marins.

Ensuite la Lotus Esprit amphibie de James Bond s’inscrit parfaitement dans cette thématique aquatique. Mais c’est sans compter le misanthrope Karl Stromberg, l’omniprésence des sous-marins, le gigantisme du Liparus, le scooter des mers en kit mis au point par Q et bien entendu l’incarnation de Requin entre de véritables squales.

Par ailleurs les scènes en Egypte sont superbes avec des décors et des environnements particulièrement dépaysants.

Il faudrait des kilomètres de lignes pour parler dignement du film L’Espion qui m’aimait. Ce n’est que partie remise, ma volonté du jour étant d’en extraire une séquence précise.


Iron Jaw

La scène du film L’Espion qui m’aimait que je souhaite évoquer se déroule dans un train de nuit. Le major Anya Amasova, incarné par la sublimissime Barbara Bach, s’apprête à rejoindre son lit dans sa cabine privative. En ouvrant sa penderie afin d’y suspendre une tenue, elle tombe nez à nez avec Requin, lequel était dissimulé dans l’emplacement tout juste capable de le contenir.

Le plan soulignant le regard froid de Requin donne le ton : il n’est pas là pour chanter une berceuse au major Amasova. L’agent secret russe Triple-X est bien décidé à en découdre courageusement et James Bond, logé dans la cabine voisine, sera alerté par les cris et les bruits que l’affrontement va générer.

L’espion britannique évitera une morsure fatale au major Amasova en s’opposant physiquement à Requin. Les proportions physiques des deux acteurs entrent littéralement en opposition à l’écran et Requin résistera à tous les assauts. L’environnement exigu du décor accentue les dimensions hors norme du géant aux dents d’acier qui avoisine tout de même les deux mètres vingt. Roger Moore avec son mètre quatre-vingt-cinq apparaît comme un fétu de paille ballotté sans ménagement par des mains surdimensionnées.

À l’image de David contre Goliath, c’est l’ingéniosité et l’intelligence qui apporteront la victoire à James Bond, l’acier étant un excellent conducteur électrique.

 

 

Une configuration cartoonesque

Sur le plan analytique, l’opposition entre James Bond et Requin pourrait être assimilée en filigrane à l’œuvre Bip Bip et Coyote (Chuck Jones – 1949). Nous nous souvenons tous de ce dessin animé diffusé notamment dès 1989 dans des programmes jeunesse tels que Ça cartoon et Décode pas Bunny.

Le pauvre Coyote essayait par tous les moyens de capturer Bip Bip, un volatile coureur aussi rapide que futé. Notre canidé sauvage usera en vain de tous les stratagèmes possibles et inimaginables pour finir très souvent victime de ses propres pièges. Il survivra systématiquement à ses péripéties matérialisées par des écrasements, des chutes ou encore des explosions.

Cette configuration est à mettre en perspective avec l’opposition James Bond/Requin. Le géant aux dents d’acier poursuivra inexorablement l’espion britannique et ses échecs répétés ne le décourageront pas. Il survivra à la percussion d’une camionnette, à l’éboulement de rochers, à l’électrocution, à un accident de voiture, à la noyade, à l’attaque d’un squale, à un tir de Walther PPK ou encore à la chute du train.

 

 

Si on étend ces séquences prélevées dans L’Espion qui m’aimait à l’opus Moonraker (Lewis Gilbert – 1979), Requin affichera une résistance à toute épreuve là où n’importe quel humain lambda n’aurait jamais survécu. Ce procédé de mise en scène démystifie avec un certain humour la dimension effrayante et invincible de Requin. Le spectateur est quelque part rassuré à travers un désamorçage de la figure animalisée et sauvage entérinée par la morsure.

Au-delà du traitement filmique discutable de Requin sur le plan psychologique, avec une utilisation décomplexée du poncif de la brute inintelligente, il est intéressant de relever le style vestimentaire du géant aux dents d’acier dans les films L’Espion qui m’aimait et Moonraker. Bretelles, chemise, pantalon à pince, cravate et veste de costume, un traitement textile qui nous renvoie à un certain classicisme et qui entre en opposition avec l’évocation sauvage de Requin.

C’est également une esthétique qui rappelle subtilement les tueurs à gage de la période Al Capone comme Frank Nitti surnommé « l’exécuteur ». Il faut associer à ce code vestimentaire la dimension stricte des coiffures plaquées avec une raie tantôt de côté, tantôt centrale.

 

 

Epilogue

Requin est un antagoniste fascinant qui synthétise d’une certaine manière les peurs millénaires profondes de l’humanité. La figure du surhomme, véritable force de la nature, associée au sadisme de la morsure font de notre colosse aux dents d’acier une référence iconique replaçant l’humain normé dans un contexte où il devient une proie.

Et puis Requin est quand même le seul antagoniste de la période Roger Moore à revenir dans deux opus différents (Merci Ju !). Un ennemi et futur allié décidément coriace qui, selon une formule adressée à James Bond par Hugo Drax dans Moonraker, réapparait aussi inévitablement que la mauvaise saison.

D’autre part je souhaiterais préciser que la configuration du train et de l’affrontement James Bond/Requin m’évoque clairement une scène antérieure quasi similaire dans Vivre et laisser mourir où l’espion britannique sera aux prises avec un autre homme de main doté d’une prothèse métallique, Tee Hee.

Enfin je voudrais insister sur le fait que les références culturelles de cette production ainsi que les symétries ne proviennent d’aucun site spécialisé. Je mets un point d’honneur à produire un contenu analytique personnalisé afin de garantir une certaine fraîcheur informative.

J’espère que cette petite parenthèse cinématographique aura été agréable. Rendez-vous lundi prochain afin de partager ensemble une autre séquence du petit comme du grand écran. Merci à tous pour vos lectures.

 

 

3 comments

Aah le retour de Requin ! J’ai hâte de te présenter le prochain podcast, Nicko. ^^

Nicko says:

J’ai eu vent d’une collaboration avec Nicolas Fleurier. Vos connaissances à l’un et à l’autre concernant la thématique de James Bond assurent par avance l’excellence du moment !

Oh merci Nicko, tu me flattes. Je suis loin d’avoir le niveau de connaissance et d’analyse de Nicolas, mais nous nous sommes bien amusés. Mise en ligne demain si tout va bien !

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