1979, une année sacrée pout tous les amateurs de science-fiction horrifique. Alien, le huitième passager est un film inscrit pour l’éternité au Panthéon des références fondatrices, avant-gardistes. Si les formes de vie extra-atmosphériques du cinéma n’ont pas toujours été hostiles aux humains, certains « aliens » ont marqué les esprits à travers des incarnations cauchemardesques particulièrement mortelles.
Aussi je vous propose aujourd’hui de revenir sur une nouvelle scène culte du grand écran, en l’occurrence extraite du premier opus de la saga Alien. Il s’agit de la séquence centrale de l’œuvre où nous avons découvert le stade embryonnaire du Xénomorphe. Nous gardons tous en tête cette image du Chestburster qui perfore littéralement la cage thoracique de Kane afin de s’échapper de celle-ci.
Plusieurs éléments ont contribué à la sacralisation de cette scène. D’abord, en 1979, le spectateur était vierge de tout contact concernant cette espèce de vie endo-parasitaire qui habite temporairement son hôte. Le Chestburster surprendra avec violence les amateurs de science-fiction horrifique tout comme les acteurs du film qui n’avaient pas été briefés concernant la dimension très sanglante de la séquence. Une volonté du staff dédié à la réalisation afin de capter à la caméra des effets de surprise plus vrais que nature.
Ensuite la scène est indissociable d’un blanc immaculé particulièrement dominant. De la vaisselle au mobilier jusqu’aux tenues des personnages en passant par les parois de la salle, les projections de sang expulsées du thorax de Kane sont sublimées à travers un contraste chromatique morbide.
Cette blancheur évoque également de manière plus subtile le scientifique, le médical, une certaine aseptisation où le Chestburster n’en ressort que plus parasitoïde. Et lorsqu’il s’extrait de Kane, par la force, on peut y voir une forme de viol par inversion où la violence d’une pénétration non consentie se transforme en une brutale auto-expulsion.
D’autre part, certaines grilles de lecture traduisent la séquence du Chestburster comme un accouchement, une analogie tout à fait recevable mais peut-être un peu réductrice, un peu limitante. La vie qui engendre la vie, selon une définition organique et réaliste de l’accouchement, semble être une approche qui restreint la vision que l’on peut avoir concernant la naissance du Chestburster.
Je m’explique. L’auto-expulsion de l’endoparasite provoque inéluctablement la mort de l’hôte. Pire, l’évolution du Chestburster en Xénomorphe engendrera également la mort de ceux qui auront le malheur de croiser son chemin. La vision traditionnaliste de l’accouchement et de la notion de vie qui en est intrinsèque s’applique ici moins spontanément : c’est une mort qui donne naissance à la Mort.
Cette approche « hyperréaliste » m’évoque une formule qui, de mémoire, était prononcée dans le film Frankenstein de 1994 où Robert De Niro incarnait avec brio la créature : « La mort rapiécée à la mort ». Enfin, de manière plus pragmatique, le design du Chestburster a également contribué à mythifier la scène.
Une forme d’annélide extraterrestre, un cauchemar serpentiforme désincarné par l’absence d’yeux dont la laideur est accentuée par une mâchoire aux dents métallisées. Un travail exceptionnel qui est signé H.R. Giger et dont l’influence profonde proviendrait d’un triptyque de l’artiste Francis Bacon : Trois études de figures au pied d’une crucifixion (1944).
Bien d’autres éléments rendent la séquence particulièrement réussie : la configuration du repas par exemple qui suggère une parenthèse sans danger, un moment convivial où le mal n’a plus sa place le temps d’un espace sans tensions significatives. Ceci accentue davantage le traumatisme créé par l’auto-extraction du Chestburster.
On peut d’ailleurs traduire son développement endo-parasitaire comme la matérialisation de l’impuissance, de la soumission de l’hôte. Une forme de « domination interne ».
Chez FulguroPop, nous essayons de partager avec vous des grilles de lecture qui soient personnalisées. Selon ma modeste méthodologie, je ne consulte Wikipédia que dans le but de récupérer certaines informations à caractère référentiel : des dates ou encore des noms d’artistes. Je ne lis jamais ou que très rarement les analyses déjà faites.
C’est une manière de garantir une forme d’authenticité, de sincérité, de fraîcheur, concernant les décryptages que je vous propose. Selon mes connaissances, mes références, ma culture personnelle, j’essaye, je dis bien j’essaye, de suggérer des visions qui ne se trouvent pas nécessairement en trois clics sur le net.
Je vous laisse le lien ci-dessous (en V.O.) de la séquence cinématographique évoquée dans cette production. J’espère que vous prendrez plaisir à la (re)découvrir selon les idées que j’ai développé précédemment. Merci à tous pour vos lectures.
- Calendrier de l’avent – Jour 15 : Palais du Pouvoir (Mattel 1986) - 15 décembre 2023
- Calendrier de l’avent 2023 – Jour 12 : Robo Machines (Bandai 1993) - 12 décembre 2023
- Calendrier de l’avent 2023 – Jour 10 : Le Rocher de la Peur (1986) - 10 décembre 2023
Salut Nicko, sans cirage de pompes et je le précise, je dis chapeau bas ! Excellente analyse sur cette scène qui va finalement donner vie à une terrible créature qui est à l’image de sa naissance, cruelle et violente.
J’ai du coup visionné la séquence que tu as mis dans ta parution et en clôture de la scène “culte”, il faudra remarquer le regard de Ash. L’expression qui tend à la fascination, sans parler de l’intervention verbale pour empêcher un quelconque geste à l’égard du Chestburster, le temps est compté mais j’y ai trouvé une certaine intensité. C’était ma remarque personnelle pour échanger avec toi sur le sujet. A bientôt et bravo pour ton travail d’écriture.
Fabrice
Merci infiniment Fabrice pour ce retour très encourageant ! 🙂
Inutile de préciser ta sincérité, nous commençons à nous connaître et je sais que tu es un garçon authentique. Tes remarques concernant Ash sont très justes. Il semble savoir quelque chose et il affiche une volonté significative de préservation concernant le Chestburster. Nous comprendrons plus loin dans le film, notamment à travers la scène où il est mutilé, qu’Ash avait été briefé par « la compagnie ». Une énième particularité de la scène qui la rend très intéressante avec effectivement un Ian Holm qui joue à merveille, avec une subtile nuance, la fascination mêlée à la trahison.
Merci encore à toi Fabrice pour ton message très complémentaire de mon modeste travail.
Scène culte, analyse culte!! Domination interne, blancheur immaculée, parenthèse sans danger, viol parasitoïde, cauchemar serpentiforme… J’ai adoré ton article et ton décryptage!! Merci pour l’extrait qui fait du bien (hum, hum!! 😉 ). Le jeu des acteurs est tout bonnement incroyable (et j’adore Tom Skerrit!!)… Pour rebondir sur le commentaire de Fabrice concernant Ash, on a l’impression qu’il sait ce qu’il va arriver bien avant l’expulsion et qu’il n’attend que ça… Du grand Ian Holm!! Merci Nicko!! (même dans l’espace, on t’entendra taper tes articles!!)
Merci beaucoup Olivier, je suis toujours très touché par tes interventions particulièrement bienveillantes. Je pense que tu surestimes largement mon modeste décryptage, mais je ne peux que te remercier à nouveau. La langue française a ceci de fabuleux : d’infinies nuances sont possibles et les mots justes « sonnent » comme des notes parfaitement jouées dans une partition de musique. J’ai encore beaucoup de progrès à faire pour réaliser des « compositions » de qualité.
Effectivement, et ma réponse à Fabrice va dans ton sens, Ian Holm est brillant dans la scène. Lorsqu’on la visionne plusieurs fois en s’attachant aux expressions faciales de l’acteur, on redécouvre avec fascination un personnage subtil et inquiétant.
Merci encore à toi Olivier pour ton indéfectible gentillesse 🙂
Aucune surestimation, aucune flagornerie… J’apprécie fortement la virtuosité avec laquelle tu composes tes mélodies et je le fais savoir !!! Vous avez tous, au sein de la rédaction, un style bien à vous selon les personnalités de chacun et c’est cette diversité qui rend les articles, dossiers, review aussi agréables et intéressantes à parcourir…
Je ne doute pas une seconde de la sincérité concernant ton enthousiasme Olivier ! Et je ne peux que te remercier de nouveau, ca fait chaud au cœur. Crois-moi bien, j’ai d’immenses progrès à faire pour atteindre un niveau d’écriture qui me paraisse excellent. A ce propos, j’admire beaucoup la plume de notre rédacteur Nicolas. Là pour le coup, c’est de la virtuosité. Mais comme tu le soulignes très justement Olivier, chacun d’entre nous possède « sa patte rédactionnelle » et c’est peut-être ce qui est le plus important, un travail d’équipe, pluriel, où les sensibilités et les approches se conjuguent. C’est ma vision d’un collectif qui fonctionne, d’une unité soudée aux compétences différentes. Serions-nous les X-Men de l’écriture ?! Lol