Les yeux dans les yeux de l’écran (4ème partie : loups-garous et autres zombies)

La question de la vision dans les films de genre

Précédemment dans « Les yeux dans les yeux de l’écran » : « on se dira quand même qu’on pourrait faire chic par la même occasion et donc un peu de grec, en désignant la vision normale ou censée l’être par le terme le plus concret c’est-à-dire omma, et la vision transformée avec plus ou moins de bonheur par le mot opsis. »

Entre chien et loup

Le loup-garou de Paris ne voit pas aussi bien qu’il charcute, mais il ne souffre pas de visions comme The wolfman
(crédits photographiques : Stonewood Communications B.B, Universal Studios)

Le loup voit très bien et très mal à la fois, car il est sûrement myope et repère difficilement les couleurs du vert au rouge, mais peut percevoir distinctement plusieurs objets en même temps quelle que soit la luminosité, et l’on imagine le loup-garou prendre le meilleur de l’homme et de l’animal, ou alors synthétiser les capacités des deux en les nivelant par le bas. Mais l’opsis lycanthropique est plus facile à décrire qu’à montrer, surtout dans le noir et blanc propre aux débuts d’Universal et même dans l’unique livraison de la Hammer, si bien qu’il faut attendre l’époque moderne pour voir ce que la bête voit, notamment An American werewolf in Paris et sa vision nocturne avec surexposition sélective et filtre jaune. Ce film, qui ne vaut pas celui dont il est la suite hormis du point de vue qui nous intéresse, annonce plus ou moins la vision en noir et blanc de Dog soldiers, où il est fort opportunément rappelé que « they can see in the dark », en tout cas plus que la vision de The wolfman qui se résume à une unique vision cauchemardesque. On préfèrera toujours ces propositions à celles des licences Underworld et Twilight, qui donnent toutes les deux dans la vue circulaire à bords flous, mais l’une avec surexposition et filtre bleu parce que tout y est bleu, et l’autre en rouge par à-coups parce que le cœur des loups-ados bat comme les vampires scintillent, ou parce que des visions sur surimposent à la vision.

Le vieux fantasme de voir dans le noir et de ne pas avoir peur de ce qui s’y cache, mais réalisé par le loup qui rayonne des yeux dans Wolfen
(crédit photographique : Warner Bros. Entertainment Inc.)

Les loups-dieux de Wolfen, chaînon manquant entre le loup-garou et le loup s’il en est, sont aussi les premiers du cinéma à être associés à la vision thermique, et cette dernière est rendue dans le film par un mélange de nuit américaine et de saturation de couleurs, pour être opposée à la vision nocturne que donne à leurs poursuivants le césium des lunettes de fusil. Le reste est plus classique, puisque l’opsis lupino-divine est aussi rendue par une caméra à hauteur d’animal, et même erronée, car le film s’arrête pendant toute une séquence sur la vision des loups, mais la conclut en faisant dire à un spécialiste qu’ils voient la chaleur. Du point de vue extérieur, rien n’explique la vision thermique des loups-dieux, si ce n’est le rayonnement des yeux du loup noir qui renvoie à la théorie antique de l’extra-mission, ou qui peut tout aussi bien être interprété comme une vision du protagoniste au sens second, étant donné qu’il n’a plus après les avoir vus que les « eyes of the dead. »

L’œil du zombie, c’est pas ça ni dans la version américano-parisienne ni dans la version historico-coréenne
(crédits photographiques : Stonewood Communications B.B,
Leeyang Film/VAST Entertainment & Media/Cinapse)

Le plus proche parent du loup-garou est bien évidemment le zombie, depuis au moins ce film cité plus haut sans qu’on en ait donné le titre, mais c’est une fois de plus dans sa suite qu’on voit ce qu’on attend de voir, en l’occurrence dans la séquence de l’œil sorti de son orbite, même si cette séquence se contente de revenir à l’omma en faisant croire que les yeux des morts-vivants valent les yeux des vivants. Là aussi, on en voit davantage dans le cinéma asiatique de genre, mais Busanhaeng ne montre rien de la vision zombie, en posant tout de même que la zombification commence par les yeux, que les zombies sont aveugles dans l’obscurité et qu’« ils attaquent en nous voyant », donc en créant un ressort scénaristique peut-être plus puissant qu’un effet spécial. Il faut chercher l’opsis plus loin, c’est-à-dire dans Chang-gwol quand le roi au moment de sa transformation en « démon » observe sa cour, avec une vue altérée par un rayonnement radial renvoyant à la photophobie, pour en rajouter à l’idée que les zombies du film ne sortent qu’à la nuit tombée. Sinon, il faut se contenter de la licence Resident Evil pour ne pas dire de Resident Evil: Extinction, où Alice a les yeux du réalisateur pour elle et les siens pour le spectateur, car ils sont contrôlés via un satellite par des méchants qui nous montrent ce que ça donne sur leurs écrans, oubliant sans doute que ce n’est pas elle le zombie de toute façon.

Les semaines passées : de la vision du mal à celle du mort, de la vision du matériel à celle du tout, entre deux eaux

 La semaine prochaine : entre chair et métal (cyborgs et autres androïdes)

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