Trou noir : la critique du jeu d’ATM Gaming par Nicolas Fleurier

« If you feel you are in a black hole, don’t give up. There’s a way out. »
Stephen Hawking

On dit des yaourts aux fruits qu’ils sont le fond du réfrigérateur domestique, comme on dit des jeux à questions de culture qu’ils sont le fond des ludothèques familiales. Mais entre les récents jeux d’apéro et l’indémodable Trivial pursuit, l’espace laissé aux éditeurs semble plus que jamais restreint. A l’heure où le second cerveau que représente Internet réduit sans doute la culture immédiatement mobilisable, les questions pour un champion peuvent même apparaître comme un anachronisme social. Et pourtant, la jeune société parisienne ATM Gaming tente sa chance avec une synthèse entre jeu de culture et jeu de gages…

N’ayant rien de commun avec le film homonyme, Trou noir n’est pas précédé d’une réputation quelconque, hormis celle d’un éditeur qui se présente sur son site Internet comme créant « les meilleurs contenus d’ambiance et de divertissement ». La boîte, carrée comme celle du modèle mais moins haute et donc moins encombrante, présente une esthétique hésitant entre géométrie simple et couleurs agressives, pas très rassurante si l’on ajoute à cela les formules d’appel, comme le « subtilement pensé par Ben & JB » ou le « 1% des bénéfices reversé à des associations caritatives ». Il s’agit entre autres de flatter la bonne conscience de l’acheteur potentiel, avec en outre un papier écoresponsable et une encre végétale, mais aussi de le considérer comme un testeur, dans la mesure où les retours sont autant suggérés que le bouche-à-oreille. La démarche permet toujours de regarder différemment les jeux produits à la chaîne pour les fêtes de fin d’année, voire de rêver à un jeu d’autant plus durable qu’il annonce « + 1 200 questions ». Il faut d’ailleurs relever que, sincère ou non, cette démarche bénéficiera dans son aspect caritatif aux Restos du Cœur, lesquels ont évité la faillite d’un rien en septembre dernier.

Trou noir présente une mécanique de jeu classique, pour ne pas dire contrainte, qui consiste à répondre au mieux à des questions dans le but de finir en tête, mais il n’en présente pas moins trois originalités par rapport aux jeux de culture. La première de ces originalités relève en quelque sorte du texte d’ambiance, car il s’agit de l’habillage scénaristique, qui consiste à justifier les questions par le risque de tomber dans un trou noir à la suite d’un accident sur l’ISS. La deuxième originalité est le plateau de jeu, qui ressemble à une échelle sur laquelle les pions permettent d’indiquer le QI des joueurs et leur proximité au trou noir, sachant qu’elle sert en outre à déclencher des actions. La troisième originalité est la catégorisation des questions, qui ressemble un peu à celle du modèle en matière de domaines de connaissance, et beaucoup à un jeu social en matière de formulations.

Si la mécanique de jeu cache une double confusion, entre intelligence et culture, ainsi qu’entre cause et conséquence, l’important reste les questions-réponses. Il existe six types de cartes, donc autant de formulations : « Cauchemar » proposant cinq questions fermées à la suite, « Give me 5 » exigeant cinq éléments sur un même thème, « Info intox » proposant deux faits à valider ou non, « Plus ou moins » proposant deux questions sur des éléments à ordonner, « Questions doubles » proposant deux thèmes au choix et une question par thème, et « Roulette russe » proposant une question à choix multiple avec quatre réponses possibles. Associant culture générale et culture populaire, les questions peuvent provoquer des pertes de QI plus ou moins lourdes, sachant que le rapport entre leur difficulté et ces dernières n’est pas toujours pertinent, mais aussi que leur quantité n’équivaut pas leur qualité. Inégales mais généralement accessibles, elles ressortent pour beaucoup d’un savoir contemporain qui fait craindre pour la durabilité du jeu, alors que certaines réponses procèdent d’erreurs ou d’approximations, qu’il s’agisse par exemple de Superman apparaissant en 1932 plutôt qu’en 1938, ou du mathématicien d’Alembert devenu exclusivement philosophe.

La mécanique de jeu est enrichie par les actions, qui font le lien avec le scénario car il s’agit d’armes provenant de l’ISS, dont chacune a un effet sur le QI du joueur ou des autres. Il existe cinq « armes stratégiques », dispersées par l’accident sur le plateau de jeu : « Armageddon » permettant d’augmenter son QI en faisant baisser celui des autres, « Dynamite » permettant d’augmenter son QI en risquant de le faire baisser, « Grappin » permettant de favoriser un autre joueur, « Jetpack » permettant d’augmenter son QI, et « Sniper » permettant de défavoriser un autre joueur. Les actions constituent la seule manière de s’éloigner du trou noir, mais le fait de pouvoir les déclencher est en partie régi par le hasard, et leur intérêt n’est réel qu’à partir d’un certain nombre de joueurs. Il faut peut-être ajouter que chaque niveau de QI correspond à une dénomination plus ou moins heureuse, qui relève parfois de la facilité due à la systématicité, de « Chat GPT » à « Star de la téléréalité » en passant par « 2 pigeons » et « 1 pigeon ». Enfin, les pions, heureusement plus solides que les cartes, forment un second lien avec le scénario, car ils représentent les déguisements que portaient les joueurs lors de la fête pendant laquelle s’est produit l’accident, ce qui n’est ni désagréable ni indispensable.

Trou noir ne soutient pas la comparaison avec Tu te mets combien ?, étant donné l’absence de relation entre le QI et la difficulté des questions, ni avec la gamme Smallworld, compte tenu de la pauvreté du matériel de jeu. Ce n’est visiblement pas le but d’ailleurs, l’intention étant de se faire une petite place entre le sérieux du modèle et la convivialité d’un divertissement, comme le prouve l’humour apparaissant dans quelques réponses. Il est fondé sur une connivence culturelle où le savoir sur les Apple Stores vaut celui sur les grands faits, donnant une place assez importante à l’anecdotique, et ni la mécanique de jeu ni le scénario somme toute accessoire ne relèvent de l’évidence, à la façon d’un Timeline ou même d’À toute vitesse ! Il apparaît donc comme une alternative s’adressant avant tout à des trentenaires, qui réduit le risque d’exclusion culturelle par la variété des formulations, et comme une étape pour l’éditeur, dans l’évolution de sa gamme comprenant surtout des jeux d’amis.

Trou Noir, pour 2 à 16 joueurs, à partir de 14 ans, environ 30 minutes la partie
Crédits photographiques : ATM Gaming
Remerciements : Ben, JB et Léa, Damien Dauphin-Meunier et Anne Fleurier

1 comment

ExarKun02 says:

J’oublie pour y jouer avec des enfants mais why not à tester !

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