Dune : l’étrange voyage de Denis Villeneuve sur Arrakis

Cet article contient des spoilers potentiels à propos des films Dune de Denis Villneuve. Il évoque aussi le roman original de Frank Herbert et l’adaptation cinématographique de David Lynch (1984).

 

Carte postale d’Arrakis

Ce qui frappe dans l’adaptation de Denis Villeneuve,  c’est avant tout la beauté qui se dégage de la photographie.  L’invitation à la contemplation tranche avec la violence, celle des hommes, du propos général ðe l’œuvre et bien entendu de la nature.

 

Innovations et libertés : le parti pris de Denis Villeneuve

Par-delà leur qualités graphiques, les films de Denis Villeneuve sont porteurs d’une vision propre au réalisateur. Cette interprétation de l’ouvrage de Frank Herbert n’est pas sans lien avec l’époque ni avec le message que l’auteur souhaite passer.

La construction du récit

En accordant une place proportionnellement plus longue au 2nd livre du roman, Villeneuve n’allonge pas vraiment la sauce. Il ne fait comme Peter Jackson avec Le Hobbit. Il revisite cependant la structuration du récit et choisit de modifier les représentations des personnages et leurs relations entre eux.

Alia Atreides

Le traitement d’Alia dans le film est particulièrement distinct de sa représentation originale. En effet, dans livre Alia nait. Ce n’est pas son fœtus qui s’exprime par l’esprit via sa mère, mais bien un individu certes très précoce (pré-née, en fait) du fait de son exposition à l’eau de la vie.

Son absence physique à l’écran induit un autre changement majeur. Ainsi, puisque c’est elle qui tue son grand-père, le baron Harkonnen, dans le 2nd livre de Dune, la tâche revient à Paul dans le film. Leur réaction diffère aussi. Alia lui dit qu’il a fait la connaissance du gom jabbar des Atreides alors que, dans le film, Paul le nargue en disant qu’il « meurt comme un animal ».

Paul et Chani

La relation entre Paul et Chani ne pouvait qu’évoluer. La représentation des couples des années 60 avait peu de chance de coller avec l’idée qu’on se fait désormais des relations entre les hommes et les femmes. Zendaya campe une Chani guerrière, indépendante et incrédule face à la prophétie. Elle introduit d’ailleurs dans les films le concept d’une distinction entre les Fremens de l’hémisphère nord  et ceux de l’hémisphère sud.

Géopolitique sur Arrakis

C’est d’ailleurs ce point qui fait balancer l »histoire de Dune selon Villeneuve en une véritable bande-annonce du djihad à venir. Alors que le roman finit sur les craintes de Paul face à la puissance déchaînée de Fremens à travers la galaxie, le film ne porte pas ce message. On sait que les sudistes fanatiques conduiront Muadib vers un champ de cendres, la vision d’Alia est assez claire à ce propos, mais la réflexion de Paul sur ce sujet semble limitée.

Le contexte géopolitique joue beaucoup dans les livres comme dans les films. Le vocabulaire utilisé par Herbert, ces folles expéditions de sabotage dans le désert… tout ça rend hommage à l’épopée de Lawrence d’Arabie. 60 ans après, le monde a tellement changé, l’orientalisme est passé de mode et la Guerre froide a pris fin depuis plusieurs décennies. La fragmentation de notre monde se lit dans le film en deux parties de Denis Villeneuve et son côté prophétique n’en est que plus glaçant.

La Vie de Paul

Avant d’embrasser son destin (et les conséquences de cette décision), Paul hésite. Il refuse de jouer au messie. On retrouve un élément essentiel du discours messianique qui conduit à l’acceptation de son destin par le héros.

Les discussions de Stilgar sont toutefois à la limite de la comédie et rappellent (involontairement ?) Le Vie de Brian des Monty Pythons.

Tempus fugit

C’est finalement le rapport au temps qui me perturbe le plus dans les films de Denis Villeneuve. Les événements ne semblent pas s’étendre sur plus de quelques semaines là où les romans couvrent deux ou trois ans. L’ascension de Paul semble pour le coup accélérée, certes grâce au boulot préparatoire des Bene Gesserit, mais le lecteur devenu spectateur sent qu’il manque quelque chose dans cette adaptation de Dune. La respiration, à laquelle invite pourtant le côté contemplatif des films, fait défaut dans cet atmosphère guerrière.
Blaster
A suivre

7 comments

ayorsaint says:

Merci pour ces éclairages
Je connaissais certaines de ces différences pour m’être renseigné suite au visionnage du second film mais pas toutes.
Savoir que le même récit se déroule sur trois années dans le livre me semble aussi plus pertinent avec l’évolution profonde de Paul en particuliers.
En tout cas je conseille vivement à tout le monde de voir ces films car le second opus est quasi un chef d’œuvre. Si je fais partie de ceux qui pensent que le premier souffre d’un rythme trop lent, son successeur est une masterclass à ce niveau-là. Villeneuve et son équipe ont dû entendre le champs des sirènes pour ainsi changer de narration. Vivement le troisième…

Julortk says:

Je comprends le parti de Villeneuve de ne pas faire naître Alia. Franchement, elle en sert pas à grand chose dans le livre et n’apparaît quasiment pas. Même son oncle qu’elle tue, c’est hors champs dans le livre. Ça complique le récit pour rien surtout que le réalisateur a pris le parti de faire son récit sur quelques mois ( on voit Dame Jessica dont la grossesse progresse ) alors que ça se passe sur presque 3 ans dans le bouquin avec une ellipse de 2 ans au milieu.
Il manque la guilde mais ça compliquait monstrueusement le récit pour un film.

C’est vrai que la guilde fait partie des éléments qui manquent le plus. J’espère qu’on la verra dans une suite éventuelle.

Olivier says:

j’ai profondément détesté le premier volet, au point de me dégouter de regarder le second. l’art de l’adaptation est extrêmement complexe. Il faut garder l’histoire principal tout en rendant l’ensemble cinématographique et cohérent dans le contexte actuel. la notion de temps raccourci ne me dérange pas, Peter Jackson l’a fait pour LOTR sur une période encore plus longue sans que ce soit gênant.

ayorsaint says:

Tente le deuxième quand même.
J’ai moi même piquer du nez devant le premier à deux reprises et j’ai pris une de mes plus grandes claque ciné au second

Je rejoins Aurelien sur ce point le 2 est nettement moins contemplatif.

Julortk says:

J’ajoute que le 2 éclaire beaucoup le 1er. J’ai pris un réel plaisir à revoir le 1 après le 2.

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