A propos de l’évolution des licences cinématographiques
Nicolas Fleurier
« But in any case the theory goes on to say that the Callisto Effect is, by and large, an evolutionary aberration. »
Lincoln Child, Terminal freeze
Le résultat de l’effet Callisto dans The relic, sachant que l’origine de la créature est humaine et que le film lui-même a été présenté comme un croisement d’Alien et de Jurassic Park
(crédit photographique : Stan Winston School)
L’effet Callisto, décrit comme une évolution brutale et temporaire au sein d’une même espèce dans The relic, n’est-il pas l’une de ces découvertes qui sont en réalité une redécouverte, permise par la culture populaire comme les inventions d’épave par la mer ? Mais plus qu’une vérité qui aurait perduré à travers cette sorte de trésor collectif, dénaturée et peut-être même faussée, il est une clef expliquant davantage ce qu’il porte que ce sur quoi il porte. Car la focalisation sur les licences cinématographiques, et le flou périphérique sur les films d’exploitation, cachent l’un comme l’autre ces moments où ce qui imite dépasse son modèle, pour peut-être annoncer certains développements dans une logique provisoirement extrapolée. Ainsi l’effet Callisto appliqué au cinéma populaire serait le résultat d’une symbiose culturelle, d’abord parasitaire puis mutualiste, expliquant certains rapports à plusieurs échelles, du niveau très accessible du scénario à celui moins évident de la pré-production.
Callisto, constellation célèbre
La barge de Skeletor et le « desert skiff » de Jabba the Hutt dans leurs versions de tournage, suivis des tueurs professionnels Saurod et Bossk
(crédits photographiques : James Sawyer, Prop Store, Daily Grindhouse, Lucasfilm Ltd.)
Le cinéma d’exploitation est pour ainsi dire le milieu naturel où se développent les imitations, et parfois des imitations d’imitations qui peuvent paradoxalement donner dans l’originalité, à mesure qu’elles s’éloignent de leur source en risquant la trahison. Mais l’originalité n’était pas le but du Cannon Group lorsqu’il sortit sur les écrans son Masters of the universe en 1987 : les Stormtroopers y sont devenus des « dark troopers » et les chasseurs de primes des « mercenaries », Yoda Gwildor et l’Empereur Skeletor, le « desert skiff » de Jabba the Hutt la barge du Lord of Destruction et les « lightsabers » des épées produisant des étincelles. Car enfin, Saurod n’est-il pas un parent reptilien de Bossk, cette hutte où vit Gwildor entre les racines n’est-elle pas située sur Dagobah, et ces bruits de lames qui s’entrechoquent n’ont-ils pas été commandés à Ben Burtt ? Cela dit, il ne faut pas se laisser abuser par ce qu’il convient d’appeler l’effet Kirby, puisque Jack Kirby est le créateur d’un Doctor Doom et de New Gods dont les rapports avec Darth Vader et la Force sont évidents, et qu’il était la source d’inspiration d’un réalisateur qui avait même demandé à l’engager.
Un « dark trooper » et un « elite stormtrooper » articulés, suivis de Skeletor et de l’Emperor au sommet de leur pouvoir
(crédits photographiques : Backintoys, Happy Beeps, Cannon Films Inc./Cannon International, Lucasfilm Ltd.)
Mais le cinéma d’exploitation est aussi le lieu où apparaissent des innovations inattendues, comme dans ces exercices d’invention sous contrainte, et ces innovations empruntent parfois à leur source ce qu’elle n’est pas encore devenue, par anticipation à partir de ce qu’elles imitent. Ainsi, les « dark troopers » de Masters of the universe annoncent les « shadow troopers » de Battlefront, autant que les « elite stormtroopers » inspirés de l’Episode VII ou les « death troopers » de Rogue one, même si des Stormtroopers à armure noire sont apparus dès 1979 dans la bande dessinée Gambler’s world. Mieux, la parenté entre l’Emperor et Skeletor, dont le rapport avec He-Man n’est pas sans présager celui de Palpatine avec Anakin, mène à une réplique qui sera reprise tel quel dans l’Episode III ou presque : « power, pure unstoppable power », devenu « power, unlimited power » dix-huit ans après sur le même ton. En revanche, il serait peut-être osé de voir dans la séquence post-générique, après une chute rappelant d’ailleurs l’Episode VI, la résurrection de l’Emperor avant l’heure, comme il serait sans doute contestable de comparer les statues du palais de Snake Mountain à celles du Jedi Temple, ou les capitaines des « dark troopers » au capitaine Phasma sous prétexte que tous portent des capes noires à doublure rouge.
Callisto, nymphe aventureuse
Henry Jones et Patrick Henry Gates sur des cartes officieuses pour le jeu The 7th continent, suivis des églises à hypogée de Last crusade et National treasure
(crédits photographiques : Valhio/Stteiph/Serious Poulp, Lucasfilm Ltd., Disney)
La licence cinématographique relève d’un principe portant à la répétition, ce qui peut aussi se produire d’une licence à une autre par effet de rayonnement, surtout quand elles relèvent du même genre et que la première en est devenue un modèle. Mais si Benjamin Gates a clairement été défini comme l’Indiana Jones des années deux mille, il est aussi très différent du Grand Aventurier à plus d’un titre : il n’est pas archéologue de profession ni professeur, n’est pas sceptique ni à la recherche de reliques fantastiques, et surtout, il exerce dans un cadre essentiellement américain voire nationaliste. Pourtant, National treasure n’entretient-il pas des liens étroits avec Last crusade, du rapport au père à l’enjeu amoureux, en passant par le renvoi aux croisades ou par l’église à hypogée, sans parler des francs-maçons très présents dans l’un, et cités dans l’autre à travers la Royal Masonic School servant de Barnett College ? Quoi qu’il en soit, Benjamin Gates s’inscrit moins dans la continuité d’Indiana Jones qu’à la suite, plus précisément au moment où la mise en chantier d’un quatrième film était incertaine, si bien qu’il apparaît comme une proposition alternative à un tout fini, et pourtant poursuivi en 2008.
Les montagnes anthropomorphes de Kingdom of the crystal skull et Book of secrets, suivies des deux pièges à bascule précolombiens
(crédits photographiques : Lucasfilm Ltd., Disney, Lucasfilm Ltd., Disney)
Abstraction faite de la séquence d’ouverture de Raiders of the lost ark inspirée de la bande dessinée Seven cities of Cibola, et mis à part le roman Indiana Jones and the gold of Eldorado, le Grand Aventurier ne s’intéresse pas à l’Eldorado avant Kingdom of the crystal skull, donc un an après Book of secrets et la découverte par Gates d’une cité d’or à peine différente. Car la Cibola de ce dernier est située aux Etats-Unis et l’Akator de Jones au Brésil, mais les deux renferment des trésors archéologiques et entretiennent un rapport avec les lignes de Nazca, puisque la première possède une entrée où apparaît un symbole rappelant le géoglyphe du condor, et que la seconde est découverte à la suite d’un cimetière surplombant les dessins monumentaux. Mieux, la quatrième aventure cinématographique d’Indiana Jones emprunte deux articulations scénaristiques à National treasure, à savoir la trahison du partenaire originel et l’alliance forcée avec l’ennemi, sans parler de l’étape de l’escalier en colimaçon sur le chemin menant à l’objectif final. Mais elle emprunte tout autant à Book of secrets, qui exploite en premier l’idée que le but de la quête soit dissimulé dans une montagne, derrière un camouflage à visage humain, et surtout l’idée du piège à bascule, intégrée chez le Grand Aventurier au passage obligé de la série d’épreuves.
La suite la semaine prochaine, avec James Bond et Jason Bourne, Mad Max et Tank Girl.
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Merci beaucoup Nicolas pour ce début de dossier qui me met en joie avant le weekend !
Tu fais mouche avec une de mes marottes. J’adore !
En revoyant la barge de Skeletor, je me dis qu’elle ressemble presque à un mini-rig Kenner.
Merci pour ce superbe article, une lecture savoureuse pour ce début de matinée.
Merci à vous ! Et je suis entièrement d’accord sur la barge de Skeletor : on n’est pas loin du One-Man Sail Skiff…