Nanar wars : retour utile ? (critique littéraire par Nicolas Fleurier)

Avis sur le livre Nanar wars. Le pire contre-attaque !

Partir d’une crainte pour hypothèse de travail, ou même une modeste critique, ça peut être dangereux ou subjectif, mais ça peut aussi être utile, quand on sent qu’il y a confusion entre intelligence et culture par exemple, ou entre nanar et ersatz en l’occurrence. Car il est assez clair qu’il sera une fois de plus question des rip-offs, même si l’avant-propos délivre une explication en trois temps car il a tout de la pirouette syllogistique : le rip-off est une contrefaçon plus ou moins viable, les rip-offs les plus grotesques sont les plus nanardesques, et donc tout ce qui est dans le bouquin relèvera du « nanar pur jus. » Alors, soit on s’énerve, et on rappelle ce qu’est le nanar et le cinéma d’exploitation par la même occasion, soit on se rappelle qu’on commence à avoir lu beaucoup de choses sur le sujet, et qu’il s’agit peut-être là d’approfondir sans répéter. Qui plus est, le livre est agréable à la prise en main, avec son format comics et son papier glacé, et les auteurs ont eu le bon goût de placer le sommaire à la fin, comme cela se fait en France par opposition à l’habitude américaine, mais aussi de l’additionner d’une bibliographie citant les deux anthologies siglées Nanarland.

Il faut donc accepter que tout sera exotique, comme on accepte en allant à Disneyland que tout sera faux, pour pouvoir apprécier la balade et peut-être prendre du plaisir, et donc oublier les déséquilibres entre les chapitres, le mélange des époques ou la brièveté des fiches techniques. Et c’est bien de ça qu’il s’agit, d’une balade dans un Disneyland aux peintures criardes et aux attractions mal sécurisées, puisqu’on passe allègrement de thème en thème et de film en film, mais aussi par une catégorie fourre-tout avec le chapitre « Les blockbusters », et en s’attardant plus particulièrement sur les terres asiatiques. Et si l’on entre dans le détail de la short list, on se retrouve face à une sélection très originale pour ne pas dire trop, mais qui reprend tout de même quelques titres déjà chroniqués sur Nanarland ou ailleurs, de For yu’r height only au Turkish Star Trek. On retrouve aussi quelques grands noms du petit cinéma, à commencer par Cüneyt « l’homme qui va sauver le monde » Arkin, et on découvre que la relève est assurée par Nui « le Hulk thaïlandais en caleçon orange » Chernyim, et plus rarement un emprunt manqué, comme à Shazam dans Kilink uçan adama karşi ou à Never say ever again dans Mr. Bond.

Par le miracle de chroniques qui sont avant tout les résumés de leur sujet, digest et corpus sont humoristiques tous les deux, même si seul le premier l’est volontairement et non sans mordant, mais le défaut de la méthode adoptée est d’en rester à un niveau très descriptif d’analyse, ce que soulignent les nombreuses illustrations du reste indispensables pour saisir l’ampleur des dégâts, en créant une mise en abyme du plagiat doublée d’un amalgame avec le pastiche. Malgré les commentaires qui peuvent suivre les résumés, et les contextualisations qui peuvent les précéder ou inversement, le livre vire ainsi au catalogue sans commande possible, puisque les films sélectionnés sont inaccessibles dans leur grande majorité. Et chemin faisant, la crainte des débuts revient avec des titres comme Ratatoing, qui sont de simples décalques sans intérêt et sans rapport avec les nanars, mais cela est peut-être dû à une maîtrise inégale des langues originales et pour tout dire difficiles. Car à trop vouloir trouver de quoi parler nanar, le critique finit peut-être par voir du nanar partout et à en chercher rien que pour se moquer, à moins qu’il ne s’agisse du jusqu’au-boutisme du collectionneur ou d’une entreprise plus légère, comme le laissent entendre les auteurs qui ne se cachent pas d’être collectionneurs, sur la page Facebook consacrée à leur nouvel opus où ils parlent de « livre d’humour cinéphilique. »

Et comme le veut la tradition, avant de renvoyer visuellement à deux autres références dont une tellement proche qu’elle a été éditée par la même maison, quelques bonnes feuilles :

Sur un Dracula atrocement ourdouisé :

« Dès le carton d’introduction, le ton est donné : « Adopted (sic) from the novel by Bram Stoker« . Implicitement, le réalisateur [de Zinda laash] nous prévient : il n’est pas très fort en anglais et peut-être n’a-t-il pas tout compris au récit dont il va s’inspirer. Le spectateur ne tarde pas à constater que c’est effectivement le cas, et cette production pakistanaise va s’avérer étrangement déconcertante, pour ne pas dire curieusement bizarre. L’histoire commence par un emprunt à Frankenstein en introduisant le personnage d’un savant fou, le professeur Tabani, qui est fan de chimie. Exalté, il s’exclame : « Je possède enfin l’élixir de vie ! » et s’enfile un godet de liquide miraculeux. Evidemment, il est pris de violentes crampes d’estomac et s’écroule, inanimé. Peu après, son assistante rondouillette découvre le corps du scientifique qui a eu la présence d’esprit, avant de tomber dans le coma, de rédiger la note suivante : « Mettez-moi dans le cercueil qui est à la cave SVP ». Pas curieuse pour un sou, l’assistante suit la consigne à la lettre, puis va se coucher après cette journée bien remplie. Pendant ce temps, le professeur en profite pour ressusciter, avant de s’introduire dans la chambre de son assistante. Celle-ci se réveille en sursaut et découvre avec effroi que son patron s’est transformé en vampire ! Il est temps de lancer le générique. Souhaitant sans doute recréer l’inquiétant paysage sonore des Carpates, le réalisateur choisit, pour accompagner ses images, deux thèmes musicaux typiquement roumains : une version instrumentale de la Cucaracha, ainsi que le début de Granada. »

Sur un Flash Gordon encore pire que celui de 1980 :

« Copiant paresseusement l’univers et la trame du serial hollywoodien de 1936, lui-même adapté de la bande dessinée d’Alex Raymond, elle-même fortement inspirée de la BD Buck Rogers, le film [Baytekin fezada çarpişanlar], qui se veut trépidant, accomplit le prodige de représenter un personnage principal encore plus fade et transparent que l’original. En fait, plus que la personnalité du héros, ce qui retient l’attention du spectateur, ce sont surtout les fabuleux effets spéciaux, d’une puissance 9,2 sur l’échelle du kitsch. Qu’il s’agisse des jets d’étincelles pétaradantes au cul des vaisseaux spatiaux, des monstres en peau de lapin ou des écrans de contrôle dessinés à la main tous semblent avoir été réalisés par des élèves de cinquième, encadrés par un prof de techno très démotivé. Rien que pour ça, le réalisateur mérite les félicitations. »

Sur un Rambo qui a perdu son « b » à la guerre :

« Dans le village, les enfants vont à l’école en chantant l’hymne national, sous la houlette de leur jeune instituteur. Ce dernier possède une cravate et sait conduire une Tofaş 131, ce qui en fait l’un des plus beaux partis de la région, mais son cœur est déjà pris par une séduisante bergère qui sait traire les chèvres comme nulle autre. Après l’école, il retrouve la jeune femme près de sa cabane et l’invite à une promenade romantique derrière la briqueterie. Pendant ce temps-là, Ramo [dans le film éponyme], devenu culturiste, pelote sa demi-sœur et l’embrasse dans le cou sous le regard attendri de son père adoptif, le vieux laboureur. Alors que le spectateur petit-bourgeois coincé s’interroge sur les mœurs de la paysannerie turque, l’instituteur et sa fiancée organisent déjà leur mariage, qui se déroule à l’automne devant tous les villageois. Comme le veut la tradition, M. le Maire tire des coups de fusil en l’air et la mariée doit étrangler une poule avec ses mains, tandis que les femmes regardent les hommes danser. Une fois mariés, les deux amoureux entament un magnifique voyage de noces : ils partent en vacances au village d’à côté en Tofaş 131, sous les vivats de la foule. Le jeune couple exsude le bonheur, mais les routes turques sont traîtresses et la voiture ne tarde pas à s’enfoncer dans la boue. Il faut sortir du véhicule et le pousser hors de l’ornière. Las ! Des brigands qui rôdaient dans les parages s’approchent du couple, filent une dérouillée au mari, incapable de se défendre (n’oubliez pas : c’est un professeur des écoles) et emmènent sa femme dans un pré pour la violer. C’est alors que, attiré par les cris de la victime, Ramo déboule. Grâce à un procédé cinématographique complexe baptisé « flash-back », le héros musclé fait remonter dans son cerveau un douloureux souvenir enfoui : le viol de sa propre mère. Pris d’une rage folle, il casse la gueule aux crapules, qui déguerpissent sans demander leur reste, puis propose à l’instituteur et à son épouse de les héberger dans sa ferme. »

Nanar wars. Le pire contre-attaque ! : essai d’Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle, publié à Montreuil par Omaké Books en 2021 (192 pages)

Crédits photographiques : Omaké Books pour tout sauf la couverture du premier opus (Le Télégramme)
Remerciements : Emmanuel Prelle et Omaké Books

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