Voyage au pays du nanar en quatre étapes
(deuxième partie)
Après avoir questionné la notion de nanar dans la première partie, et trouvé quelques règles fondamentales dans Syngenor, il s’agit cette fois de dégager des règles plus secondaires grâce à Dark breed, et de voir comment tout cela peut mener à Cyborg cop.
Règles facultatives : Dark breed (1996)
Un entre-deux un peu dangereux.
(crédit photographique : ESI)
Le pays du nanar se situe derrière le miroir, dans un monde de réciprocités où ce qui a marché et était parfois bon devient ce qui ne l’est pas, mais permet de transférer sur ceux qui ont réussi une part des responsabilités de ceux qui échouent à les imiter, dans un mouvement rétroactif et malhonnête faisant de la licence Alien la responsable de Dark breed. C’est pourquoi on retrouve l’idée du parasite dans cette espèce de décalcomanie cinématographique, à côté notamment du principe du « crew expandable » et de l’attaque au visage de l’imprudent casqué, devenu une imprudente déguisée comme l’était Rene Russo dans Outbreak parce que le pot-pourri est censé sentir bon. On peut aussi s’amuser à comparer la chose avec Species, et même la considérer comme une suite alternative, mais ce serait oublier que le monstre final ressemble plus à un Yautja qu’à une jeune femme poitrinaire, en plus de ressembler à du caoutchouc baveux dont on ne voit rien tant qu’il se cache derrière les tuyaux. On n’est donc pas devant une vraie fausse suite, qui aurait capitalisé sur la réputation d’un film en reprenant tout ou partie de sa promotion pour la sienne, mais dans un entre-deux un peu dangereux, d’autant qu’il était déjà peuplé de The hidden et autres Body snatchers à l’époque.
Pour bien qu’on ne les confonde pas avec des Russes.
(crédit photographique : ESI)
Dark breed ne présente aucun avantage sinon d’illustrer quelques-unes des règles facultatives du nanar, à commencer par ce qu’il convient d’appeler le marquage des personnages en série, ce qui passe ici par des astronautes portant un drapeau américain XXL dans le dos pour bien qu’on ne les confonde pas avec des Russes, et des bidasses en uniforme de vigile qui trimballent leurs armes comme si elles pesaient le poids du plastique. Mais il y a mieux c’est-à-dire pire, à savoir les dialogues inversés, qui font que le nanar confine parfois à l’absurde et donc au sublime, par exemple quand l’un demande « comment se présentent les choses ? » alors que l’autre vient de dire « vous êtes cernés. » Cela se double inévitablement d’un casting XXS, dont un acteur principal qui croit sans doute qu’une vague ressemblance avec Warren Beatty permet d’être irrésistible en col roulé, et de faire carrière en papillotant des yeux pour jouer l’émotion, mais mène à un remarquable concours de visages inexpressifs qui culmine lors de la « réunion d’information », quand tout le monde se demande comment faire pour faire passer quelque chose et d’abord le temps. C’est qu’il est dur le métier de nanardeur, et même si Lance « The A-Team » LeGault déploie tout son talent pour ne pas y croire dans un énième rôle de militarisé, on ne peut pas ne pas admirer le travail de Jonathan Banks, dont le regard passablement endormi aura été la raison d’un itinéraire qualifiable de bis ou de ter, et lui vaut ici d’être rien moins que le meneur des parasités.
Le coup du héros qui repense à son passé dans la nuit derrière la vitre du camion.
(crédit photographique : ESI)
Dark breed présente aussi quelques contre-exemples destinés aux seules écoles de cinéma, ou aux discussions de bissophiles avertis chez Metaluna, à commencer par le coup du héros qui repense à son passé dans la nuit derrière la vitre du camion, sans se rendre compte qu’il fait de la buée sur ladite vitre et que les plans sur son visage sont presque tous foutus. Les effets spéciaux, qualifiables de post-optiques pour ne pas dire de merdiques, le disputent au remplissage pyrotechnique, et aux cascades somme toute correctes mais somme toute inutiles, surtout quand elles sont systématiquement rallongées au ralenti. Les maquillages, très « Playboy années 1990 » pour les blondes et très « yeux de chat » pour les parasités, soulignent comme il est crédible de sortir d’un crash toute pimpante, et comme il est difficile de porter droites des lentilles avec une pupille en forme de fente. Et le scénario, qui n’hésite pas à baptiser Aquarius une mission spatiale, n’hésite pas non plus à décorer son héros de toutes les médailles possibles en plus d’un passé mi-vietnamien mi-astronautique, et à oser la fin ouverte alors que personne ne paiera jamais pour voir une suite.
Jeux de cache-cache mal chorégraphiés dans les chaufferies et les parkings.
(crédit photographique : ESI)
Il reste difficile d’ignorer les jeux de cache-cache mal chorégraphiés dans les chaufferies et les parkings, qui évitent toujours l’abus de stock-shots mais coûtent toujours moins cher qu’un vrai décor, et il est tentant de faire le parallèle entre les voix stupides que les parasités prennent, et la voix idiote que prendra Christian Bale quand il sera Batman. Il est tout aussi difficile de croire qu’un synthé puisse un jour rendre le son d’un saxo, ce qui n’empêche pas de le prouver par le fait et par deux fois, avec le morceau You’re the one censé rendre le grand méchant nostalgique de son passé d’humain. Il reste surtout navrant de voir qu’un nœud scénaristique puisse se résoudre par un « laissez-les partir » même dans une production labellisée DTV, et cela mène à considérer comme une mise en abyme le moment où l’acteur soi-disant principal demande à son meilleur ami ce qui lui prend parce qu’il était son meilleur ami, et se voit répondre un « rien à foutre, je me fous de vous tous. » C’est d’ailleurs le seul moyen d’accepter certaines choses, car après avoir admis que la même mission avait pu avoir lieu deux fois, ou que la Weyland-Yutani rebaptisée Omega voulait ses Aliens rebaptisés Dark Breed, il faut aller jusqu’à concevoir qu’au pays du nanar, il est possible d’aller au bistrot pour y commander une omelette sans œufs.
Exemple-type : Cyborg cop (1993)
Ces sbires tatanés… ce plan nichon… ces moments choisis…
(crédit photographique : Nu Image Inc.)
La pratique du nanar hésite entre le tour de force intellectuel, quand il s’agit de concilier le cartésianisme à la française avec le chaos scénaristique de productions souvent foutraques, et le confort du canevas cent fois répété, quand il ne s’agit que d’enquiller avec plus ou moins de moyens les passages obligés du sous-genre visé. Regardez Cyber cop par exemple, cette Afrique du Sud maquillée en Jamaïque à coups de dreadlocks et de steel drums, ces cascades à moto clairement réalisées par quelqu’un d’autre que l’acteur censé conduire, cette blondasse qui monte dans le pick-up du héros sans faire exprès et trouve tout naturel de s’y déshabiller, cette drogue cachée dans une canne à sucre que personne ne penserait vendre non transformée : on ne peut pas franchement appeler ça du désordre… Et ces sbires tatanés ou troués, ce plan nichon tout à fait crédible et complètement insistant, ces moments choisis de main coupée ou de visage déchiré quand le cyborg sort les griffes après avoir pris trop de pruneaux, ça n’empêche pas le laboratoire aux néons fluo en pleine brousse où tout le monde s’emploie à faire du robot ! Le second couteau auquel on dit « t’es viré » après l’avoir plombé pour se faire rabrouer parce que ça salit les murs, en revanche, ce serait plus à ranger dans la catégorie « vrille et roue libre », quand on se dit qu’on peut toujours aller plus loin car le spectateur a peut-être piqué du nez, mais cette séquence est un fait d’exception, même si John Rhys-Davies a clairement choisi de la jouer Allan Quatermain plus qu’Indiana Jones.
Le torse des cyborgs… une banane… le héros…
(crédit photographique : Nu Image Inc.)
Ah, on me dit dans l’oreillette de ne pas tenter l’hypothèse de la trilogie, de ne pas faire de Cyber cop le chaînon manquant entre Maniac cop et Zombie cop, et d’éviter toute comparaison avec RoboCop et Terminator, parce que c’est évident que ça pompe dessus mais que ça ne pompera pas bien loin. Je propose donc un repli stratégique sur la figure de la banane, exploitée dans un premier temps à travers le torse des cyborgs, qui ressemble à s’y méprendre à celui d’un gorille, car chacun sait qu’un gorille ne mange que des bananes. Plus sérieusement, on a tout de même droit à une séquence très connotée, quand la blondasse susnommée se voit offrir une banane, et l’engloutit devant un héros qui constate avec autant de finesse que de galanterie : « vous n’êtes pas trop mal en ce qui vous concerne, notamment quand vous mangez une banane. » Mais surtout et pour finir, le héros en question fait son Rambo en portant constamment un sac banane à la ceinture, histoire d’apporter sa petite touche personnelle à la panoplie des mulets et autres queues de cheval, et de renvoyer le bandana de Sly au rayon des coquetteries.
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Une chronique qui change et qui fleure bon les années 80.
Merci ! Et la dernière étape passera précisément par un film des années 1980…
Merci, merci, Nicolas pour cette dossier en mode feuilleton. Un format que j’apprécie tout particulièrement sous ta plume (enfin ton clavier), je crois que tu le sais déjà.
Merci surtout pour ce travail quasi analytique d’un genre qu’on prend peut-être un peu trop de plaisir à regarder pour justement tous ses défauts.
Merci enfin de partager mon avis sur le Batman de Christian Bale. ^^
Merci pour ce retour chaleureux ! Et je suis heureux que nous partagions le même avis sur la voix de Batman-Bale…
Bonjour à tous!
Je me permet de signaler (quitte à dire quelque chose que vous saviez déjà) que Bruce Wayne ne change pas sa voix quand il revêt le costume de Batman : c’est un modulateur qui s’en charge. On le voit clairement installer le modulateur dans Begins.
Sinon, super trop chouette le dossier! 🙂
Merci pour cette précision ! Mais il semblerait que la voix de Batman dans Batman begins soit bien le seul résultat du travail de Christian Bale, alors qu’elle a été retravaillée en post-production pour The dark knight. Cela dit, on peut voir en effet micros et écouteurs dans la cagoule…