Cinquième étape du voyage au pays du nanar en quatre étapes
Du nanar comme schéma transposable
Le concept de faux inspiré d’un faux, ou du ridicule d’après nature
(crédits photographiques : TMDB, Güven Erkin Erkal)
Comme il y a des gens sérieux qui passent le plus clair de leur temps à fabriquer des systèmes pour y faire entrer la réalité au forceps ensuite, on pourrait peut-être les imiter intelligemment, en considérant les nanars comme un corpus dont émergeraient quelques références ou procédés, et certains jouets comme leurs dérivés officieux ou leurs résultats inavoués. Tiens par exemple, si l’on prend Transmorphers et qu’on le présente sans trop de malhonnêteté comme le mockbuster premier, on peut se demander si tous les ersatz de « Transformers » apparus après le film de 2007 ne sont pas des produits dérivés fantaisie, au risque de créer une sous-catégorie de faux. Ça permettrait toujours de se pencher sur la gamme « Alteration Man » de chez Top4You, ou sur le Distorsion Android de la mystérieuse « Series 8 », et de se demander si Optimus Prime a été plus copié que Bumblebee, ou si la production de chez KO Toys a plus créé le doute que celle de chez Asylum. Mais le chicaneur pourrait nous reprocher de confondre nanar et mockbuster, et de tourner autour du pot des bootlegs, qu’on gagnerait peut-être à aborder en tentant la gradation, et en commençant par le nombril du monde pour s’intéresser aux figurines sans licence Star Wars, et faire le lien entre les « deluxe » polonais et un Starcrash ou les « third generation » et un Os Trapalhões na guerra dos planetas, quand les « Mexican/SA » seraient l’équivalent d’un Dünyayı kurtaran adam. On en arrive ainsi à ce qui fait le nanar ludique ou pourrait le faire, ces notions de « goofy » ou de « cheesy » qui valent peut-être le concept de mauvais film sympathique, et qui rendent presque irrésistible le « Cuckoo Alien » de chez Chap Mei, ou presque indispensables les masques créés par le réalisateur William Malone.
Ce qu’aurait dû être Atha Prime en 1986, et ce qu’a été l’Imperial Sentinel en 1998
(crédits photographiques : Star Wars Collectors Archive/Kenner, Dan Emmons/Star Wars Collector)
La fausse suite et la jaquette volante sont deux trucs bien connus des nanarophiles, et il est presque surprenant de les retrouver tel quel chez les fabricants de jouets les plus réputés, et chez Kenner pour ne pas le nommer. Car on pense ici à Star Wars encore, mais au Star Wars après Star Wars ou entre-deux, quand il était question de refaire du fric avec la trilogie sans sortir de nouveau film, je veux dire de lancer « The Epic Continues » à la suite de « Power of the Force » comme l’a si bien rappelé Blaster. L’idée est très simple car il n’y en a pas : donner dans l’Extended Universe en violant la frontière dite des Mini-Rigs, qui avait pourtant été jalonnée d’un ou deux proto-nanars, avec le CAP-2 à bras et ventouses ou l’AST-5 dont personne ne savait dans quel sens il marchait. On passera sur l’arrière-plan narratif, qui se contente d’opposer les gentils à une armée de clones ainsi qu’à une armée de droïdes, mais on remarquera tout de même que l’idée ne sera pas tombée dans l’oreille d’un George Lucas sourd. On remarquera surtout qu’il s’agit au mieux d’un violent kitbashing et au pire d’un pervers recyclage, car le méchant Atha Prime est tout simplement pompé sur un concept art de garde impérial, tandis que le héros Mongo Beefhead Tribesman est tout bonnement une figurine de Squid Head, mais dotée des bras de Hammerhead et du baudrier de 4-Lom, sans compter une tête levée à quatre-vingt-dix degrés, réduite de son cou et affublée de deux yeux à la base dudit cou.
Du jouet comme nanar ludique
Le principe de l’évolution dans le domaine des jouets est très particulier, mais pas plus que la traduction par les Japonais de noms anglais pour un public anglophone
(crédits photographiques : Fabuleuse Caverne, Takara/Tomy)
Après le Stone Age, il y aurait eu le Bone Age qui date en réalité de la fin des années quatre-vingt, et qui a plus de rapport avec la préhistoire de Starlux ou les « Dino-Riders » qu’avec la transition mésolithique. C’était un high-concept avant l’heure, fondé sur un « et si » paléontologique revenant à se demander ce qui se passerait si les fossiles s’animaient, et si l’idée du jouet modulable passait subrepticement de la gamme « Lego » à une autre. Et comme il ne s’agit pas de Mésozoïque, et que l’homme pourrait très bien être apparu au Bone Age après tout, les têtes pensantes de chez Kenner se sont aussi demandé comment les fossiles vivants pourraient être cornaqués. Cela permet toujours de donner un peu de chair à ce qui n’en a pas par définition, et accessoirement de vendre quelques blisters en plus des boîtes de monstres. En tout cas, l’enfant averti aura reconnu les espèces derrière les noms choisis par la major, quand l’adulte aura peut-être considéré la gamme comme un intermédiaire cryptozoologique entre les binômes linnéens et les « Zoids » mécanisés, en faisant par exemple de Plesior le chaînon manquant entre les Plesiosauroidea et Furolesios alias Hydrazoid.
Un certain Crag the Clubber coiffé d’un ptéro-quelque chose, et un exemple assez affligeant de profanation d’ossements d’Apatosaurus
(crédits photographiques : Figure Realm, LLC, Adam Pawlus)
Tout ça pour en arriver à dire qu’on nage en plein nanar, et qu’une major comme Kenner, celle-là même qui n’aura pas raté le coche Star Wars, peut aussi faire du mauvais jouet sympathique. Car elle ne s’est pas contentée d’un logo très Flintstones, ni de rendre éjectables les cornes frontales du Tritops ou la massue caudale d’Anklor, mais elle a aussi rappelé que l’homme des cavernes est un archétype qui hésite strictement entre Conan et Rahan. Tunique en peau de bête variant du pull au slip, chaussures façon bottes ou chaussons, un collier de dents à l’occasion et le tour est joué. Pour ce qui est de la posture, c’est toujours la même, et pour ce qui est de la musculature, elle s’inscrit dans l’époque dite de Schwarzy-Sly, ce qui exclut d’ailleurs toute chance pour la gent féminine d’être représentée. Mais la plus belle preuve que Kenner a planté sa tente à Nanarland, c’est le boulevard périphérique de la gamme, autrement dit les accessoires des figurines et les véhicules baptisés « weapons », car la major a trouvé fort pertinent de faire d’un bout de dinosaure un masque ou un chapeau, c’est selon, et d’un crâne de Brontosaurus un véhicule à roues sans moteur, mais piloté par un homme des cavernes qui semble aussi crispé sur la boîte qu’un Chuck Norris dans ses films.
Kenner a aussi commis ça, mais ce n’était ni un hommage ni une plaisanterie
(crédit photographique : Action Toys and Collectables)
Le jouet nanar tète pour ainsi dire à deux mamelles : celle déjà bien pressurée du licensing, mais dont le lait provient de la glande à nanars située juste sous la bosse des maths, et celle qu’on ne saurait voir du presque licensing, qui donne dans tous les types de fausses suites quand il ne donne pas dans le bootlegging. Ainsi s’expliquent coup sur coup les miniatures « MegaForce » et les figurines « Future Warriors », et puisqu’on n’est pas à une contradiction près, qu’on a apprécié Total recall le vrai donc le premier, mais aussi Paul et la fameuse couverture à « three tits », on va parler d’un troisième sein, donc d’une troisième voie en évitant d’évoquer The man with the golden gun. Il s’agit des produits dérivés du nanar modèle, donc de produits dérivés qui n’en sont pas, mal inspirés d’une sorte d’imagerie commune, mais qui empruntent toujours quelque chose au nanar, et constituent une vaste gamme au bout du compte. « Bone Age » apparaît dès lors comme une vague au sein d’un ensemble plus vaste, qui renvoie aux jouets des bazars et des stands de plage, mais aussi à ce fond de carton fait de dinosaures bariolés et de spationautes ridicules, quand le carton en question porte une étiquette qui veut peut-être moins dire « grenier » qu’« enfance ».
La première partie se trouve ici.
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Merci infiniment Nicolas pour cette seconde partie que j’ai dévoré. Elle vient parfaire ma maigre connaissance des »jouets inspirés de ». Ce thème m’évoque cette phrase que je cite très souvent : »On fait toujours quelque chose à partir d’autres choses. » La copie – et quelquefois l’inspiration – manque cruellement d’humilité et bien souvent de talent.
Je suis heureux que ce sujet t’ait plu, et je suis d’accord avec toi. Cela dit, il vaut peut-être mieux une copie maladroite qu’un produit remis au goût du jour, ou inscrit dans une mode revenue, et vendu comme une nouveauté sous le couvert d’un nouvel emballage…