FulguroTube : “On est venu te dire qu’on t’aime bien”

 

Ne vous fiez pas à l’image d’accroche de l’article, il ne sera pas question de la séquence anthologique où Serge Gainsbourg brûlera un billet de 500 francs, le célèbre Pascal, en direct durant l’émission Sept sur Sept. Cette année là, en 1984, le physique prendra le pas sur la parabole avec un geste sulfureux, scandaleux, à l’image de son auteur.

Oui mais voilà, et vous allez rapidement comprendre ma démarche, Serge Gainsbourg ne peut être réduit à la provocation, aux excès, à l’alcool. La dualité Gainsbourg/Gainsbarre est une manière de symboliser la complexité du personnage. Et même si d’autres séquences télévisuelles, notamment celle du fameux “I want to fuck you”, nous confortent dans une image outrageuse, je pense que la sensibilité fait partie des maîtres-mots pour définir ce qu’est viscéralement Serge Gainsbourg.

Du dessin à la peinture jusqu’au piano, ce génie, pour qui l’art majeur n’existe pas sans initiation, livrera à la chanson française des musiques et des textes inoubliables, parfois à travers une vision moderne de la poésie. La séquence que je souhaite partager avec vous aujourd’hui fait référence au titre Je suis venu te dire que je m’en vais. Cette très belle chanson appartient à l’album Vu de l’extérieur sorti en 1973.

La composition, marquée par les sanglots de Jane Birkin, repose sur un sublimissime poème de Paul Verlaine, Chanson d’automne (1866, Poèmes saturniens). Je ne peux m’empêcher de partager celui-ci avec vous.

 

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

 

Le titre Je suis venu te dire que je m’en vais a été repris à l’occasion d’un programme télévisé datant de 1988. Le cadre n’est autre que l’émission populaire diffusée le samedi soir sur TF1 à cette époque, Sébastien c’est fou ! L’artiste et présentateur Patrick Sébastien a préparé une petite surprise pour Serge Gainsbourg alors invité sur le plateau.

En effet, la chorale des Petits Chanteurs d’Asnières est venue interpréter la chanson Je suis venu te dire que je m’en vais mais avec des paroles spécialement réécrites pour l’occasion : On est venu te dire qu’on t’aime bien. Je pense que cette révision du texte initial en forme d’hommage a été rédigée par Patrick Sébastien mais je n’ai aucune certitude.

Cette réécriture est littéralement une déclaration d’amour qui s’oppose à la rupture sentimentale évoquée dans la version originale de Gainsbourg. Patrick Sébastien a également apporté à la performance une dimension visuelle avec des enfants à l’image de Gainsbarre. Lunettes noires, Gitanes en chocolat et verre de jus de pommes à la main, chaque jeune chanteur est une représentation touchante, adoucie, de Serge Gainsbourg.

 

 

Ce dernier est réellement bouleversé durant la représentation des enfants. Le masque se craquèle et le cœur parle. Quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre, mais la sensibilité elle ne vous quitte jamais, avec ou sans alcool. Vous comprenez maintenant ma volonté. La caricature et les excès ne sont parfois, et je dis bien parfois, qu’une enveloppe qui maquille outrageusement une grande sensibilité.

Je vous laisse en lien ci-dessous l’extrait auquel j’ai fait référence dans cette petite production. La plupart d’entre vous doivent déjà le connaitre. Prenez le temps de le visionner à nouveau. Il est bon de s’accorder de temps en temps une petite parenthèse d’émotion dans un monde où celle-ci tend à disparaitre. Merci à tous pour vos lectures.

 

16 comments

ortk says:

Je n’ai connu Gainsbourg que lorsque j’étais enfant et je ne pouvais pas encadrer le bonhomme. Chacune de ses apparitions à la télé me saoulait. Je n’ai compris que plus tard le « personnage ».

Nicko says:

Merci Julien pour ta lecture et ton message 🙂

C’est un mot qui me semble juste pour définir cet artiste, un véritable “personnage”. La maturité est nécessaire pour comprendre certaines formes artistiques. Selon ton exemple Julien, j’ai grandi avec les chansons de Charles Aznavour à la maison et jusque dans la voiture. Lorsque j’étais enfant, ses chansons me “soulaient” pour reprendre ton expression. Aujourd’hui certaines d’entre elles me bouleversent. Un autre génie de la musique.

ayorsaint says:

J’aime vraiment beaucoup ta rubrique depuis deux semaines. Merci beaucoup beaucoup Nicko pour ces articles remplis d’émotions diverses.

Nicko says:

Je t’en prie mon Aurel, c’est moi qui te remercie pour ton message. Cette rubrique n’est pas ma propriété, loin de là. Justement, elle est à nous tous. C’est un espace d’expression lié à un patrimoine commun. Tous les membres de la rédaction sont invités à nourrir FulguroTube avec des séquences de cœur, tout comme nos lecteurs via la Libre Antenne 🙂

MF says:

C’est une séquence qui m’avait marqué et pourtant j’étais tout jeune à l’époque.

La caricature et les excès ne sont parfois, et je dis bien parfois, qu’une enveloppe qui maquille outrageusement une grande sensibilité.” Tout à fait, et Gainsbourg l’écrivait lui-même, à sa façon : “Les dessous chics, c’est la pudeur des sentiments, maquillés outrageusement rouge sang“.

Cobra083 says:

Gainsbourg vaste sujet ! Je m’en rappelle très bien de ce moment (j’ai 46 ans). Ta description de l’artiste je la partage, et au final je trouve moins outrageuses ses provocations que ces faux-semblants dont les artistes actuels nous abreuvent (enfin je dis “nous” mais je ne les écoute pas). De nos jours la spontanéité n’existe plus, et surtout dans ce milieu, tout est calculé à l’extrême… Le sourire, le clin d’oeil, le “je vous aime !!!!!” et même leurs fausses larmes de crocodile si possible bien devant les cameras… beurk !

Au-delà de ça, ce qui m’interpelle, c’est le choc de deux comportements dans cette scène. À l’émotion vraie, à la non dissimulation se confronte la perfidie, le challenge de l’audimat à tout prix… Patrick Sébastien en est l’un des précurseur : la mise en scène théâtralisée émotionnelle… ne nous trompons pas, sous ses airs de sainte nitouche, l’ ami de tout le monde toujours bien intentionné n’a qu’une cible : un max de téléspectateurs. Et oui, l’ami des stars avait vraiment bien trouvé sa place dans ce monde du “spectaculaire” au dépend des artistes qui eux, parfois, ne voulaient pas de ça.
Gainsbourg est une victime malgré lui, lui si pudique malgré ses excès, des excès servant à camoufler justement l’inavouable pour lui… l’humanité sincère… la fragilité. Patrick Sébastien l’a bien compris et a monétisé cette “faiblesse” dans son intérêt, il a mis son invité en difficulté… pris au piège.

Donc tu vois Nicko, je ne peux pas m’empêcher de ne voir que cela dans la scène que tu nous proposes. J’ai presque de la peine pour notre pauvre Gainsbourg, ma vision est peut-être fausse, ou alors c’est ma propre sensibilité qui est atteinte face à de tels opportunistes.

En tout cas, merci pour cette séquence Nicko qui à défaut d’être noble (selon moi) est cependant source de souvenirs agréables concernant la mémoire de cet artiste sans commune mesure.

ayorsaint says:

J’avoue sans aucun problème partager ton ressenti vis-à-vis de Patrick Sébastien, personnage qui m’a toujours paru faux et antipathique au possible.

Nicko says:

Merci Jérôme pour ta lecture et ce long message évoquant ton ressenti 🙂

Je comprends ce que tu veux dire et je respecte ton opinion. A titre personnel, je n’ai pas vraiment d’éléments significatifs qui me permettent d’apprécier la sincérité concernant la démarche de Patrick Sébastien dans la séquence, tout comme de manière générale. C’est un personnage public qui m’a apporté beaucoup de bonheur lorsque j’étais tout jeune. Ses imitations, les samedis soirs en famille où nous regardions ses programmes ou encore les personnalités publiques qui se déguisaient constituent autant de beaux souvenirs.

Et puis Patrick Sébastien a donné sa chance au spectacle vivant, au music-hall dans ses programmations. Une démarche très noble qui me touche énormément car je sais qu’il est parfois complexe de vivre des métiers de la scène. Alors j’entends ta critique à son égard et tu as probablement raison. J’idéalise peut-être un contexte, une époque, ce qui me fait possiblement manquer de discernement. Mais je suis tout de même très heureux que nos visions convergent concernant Serge Gainsbourg ! 😀

Nicko says:

Idem MF, d’où ma démarche d’en parler dans le magazine 😀 J’avais 8 ans ! Ca ne nous rajeunit pas lol

En fait toute ma production fait sciemment référence à des phrases prononcées par Gainsbourg. Le physique et la parabole, le maquillage outrancier, quand Gainsbarre se bourre, Gainsbourg se barre, l’art et l’initiation etc… Les amateurs de l’artiste, dont tu fais certainement partie, reconnaitront les clins d’œil 😀

Merci à toi MF pour ta lecture et ta présence 🙂

Mikachu says:

Un souvenir d’enfance, je devais avoir huit ou neuf ans, je l’ai rencontré au wagon bar du TGV Paris-Avignon. Il fumait sa Gitane et m’a dit : “Petit ne bois jamais d’alcool, sinon tu finiras comme moi”. J’ai du resté quelques secondes à le contempler sans dire un mot. Il m’a sourit et je suis retourné à ma place. Dès que j’entends Gainsbourg je repense à cet instant.

Nicko says:

Anecdote exceptionnelle ma Mikachouille ! Merci de l’avoir partagé avec nous 😀

Je suis également très heureux de te lire dans le magazine, comme au temps de ToyzMag. Tu y es le bienvenu.

Cobra083 says:

Tu fais preuve de sagesse Nicko et tu ne manques certainement pas de discernement, tes paroles sur la mise en avant des métiers du spectacle sont recevables, et sur ce point je ne peux qu’ abonder dans ton sens. Comme tu me le fais comprendre, je ne le connais pas personnellement c’est certain, et je passe certainement à côté de choses positives concernant ce monsieur. Néanmoins j’ai beaucoup de mal avec ce genre de personnage et le reste de sa personnalité visible télévisuelle (comme avec la plupart des présentateurs d’ailleurs). Ce n’est pas toi qui m’a dit ne presque pas regarder la télévision ? Et bien c’est un peu mon cas, et pour les mêmes raisons que celles évoquées pour Patrick Sébastien.

Nicko says:

Je n’ai vraiment rien essayé de te faire comprendre Jérôme c’est promis, et je pense qu’il faut faire confiance à notre partie instinctive quand on parle de ressenti. Si tu n’as pas d’affinités, de résonnance avec ce présentateur, c’est qu’il doit y avoir une raison valable. Elle ne sera peut-être pas universelle mais elle correspondra à ton logiciel d’appréhension. En ce sens et encore une fois, je respecte fondamentalement ton appréciation.

Effectivement je ne regarde plus la télévision depuis très longtemps, probablement 8 ans. Mais surtout, parallèlement, je reste hermétique aux autres formes d’écran. J’entends beaucoup de gens dans mon entourage dire : “je ne regarde plus la télévision” comme si c’était une volonté d’évolution, de mieux vivre son temps libre. Hors je me rends compte que cette disponibilité libérée est utilisée pour Netflix, You Tube, les tablettes, le téléphone etc… Se défaire d’un écran pour en rejoindre plusieurs autres me semble incohérent. C’est peut-être même une forme d’aggravation. Attention je ne fais aucune généralité et surtout je ne porte pas de jugement. Je suis bien loin d’être un exemple.

A titre personnel, j’ai quitté la télévision parce que je reste au quotidien un véritable bourreau de travail. Je ne m’arrête jamais. Lecture, écriture, prise de notes, recherches, musique etc… 18h dans une journée ce n’est pas suffisant lol. Aussi je n’ai que peu de temps à consacrer aux écrans et à une certaine forme de passivité. C’est peut-être pour cela que je reste favorable à l’écrit comme support de diffusion concernant mon modeste travail. Ecrire c’est être actif, c’est faire un effort de relecture, c’est valoriser une langue, c’est finalement prendre du temps pour son correspondant. Une forme de considération. Enfin l’écrit demande un effort de lecture, de l’humilité. C’est un filtre naturel à beaucoup de nos nuisances modernes.

Dans tous les cas, je comprends parfaitement les idées que tu exposes Jérôme et j’y souscris quasiment de manière intégrale. Je pense que nous appartenons tous les deux à une même matrice, à un même moule culturel. C’est finalement réjouissant malgré certains constats que nous faisons et qui sont parfois inquiétants.

elcaballerodelcancer says:

Moment magique!! (avec soupir nostalgique à la clé)… J’apprécie beaucoup cette nouvelle rubrique… Rubrique à la saveur douce-amère (du moins, c’est l’émotion procuré par cet article)… Merci Nicko!! Et merci aussi pour la réflexion sur les apparences…

Nicko says:

Merci infiniment DM pour ta lecture ! 😀

FulguroTube existait déjà dans le magazine mais j’ai effectivement soumis l’idée à Julien de remanier un peu la rubrique, ou en tout cas d’élargir son champs d’action. Je prends beaucoup de plaisir à suggérer des séquences cultes du petit et du grand écran aux lecteurs. Une occasion de revivre quelques souvenirs et de (re)découvrir des extraits parfois drôles, parfois touchants.

Benjamin says:

Beau moment de télé !

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