A propos de l’évolution des licences cinématographiques
Après avoir comparé Star Wars à Masters of the Universe et Indiana Jones à Benjamin Gates…
Callisto, fusée réutilisable
Le décontracté chic selon Bourne et Bond, suivi de la mort de Marie et d’une Vesper qui aurait été inspirée par une espionne dont le premier prénom était Maria
(crédits photographiques : IMP Awards, Universal Studios, Danjaq, LLC./United Artists Corporation/Columbia Pictures Industries, Inc.)
La durabilité d’une licence ancienne tient autant à sa plasticité, en réaction à l’évolution des attentes culturelles, qu’à sa fidélité à elle-même, donc à une sorte d’équilibre qu’il est plus simple de ne pas chercher à atteindre, tant que l’horizon de l’extinction n’est pas en vue, ce qui explique peut-être le maintien jusqu’à cinquante-sept ans de Roger Moore dans le rôle de James Bond, ou le recours à Sean Connery après l’expérience George Lazenby et à Pierce Brosnan une décade après une première hésitation. Un choc esthético-industriel comme Bourne identity, parce qu’il fait craindre le passage à la phase finale de ringardisation, ne peut-il pas servir de catalyseur en imposant une réaction de survie, voire une réforme de la grammaire cinématographique du genre ? Car James Bond et Jason Bourne n’ont pas partagé mieux que des initiales et le droit de tuer, jusqu’à la sortie de Casino Royale, mais des traits de caractère comme la vulnérabilité et l’efficacité depuis, avec le choix d’insister davantage sur le questionnement personnel que sur les accessoires extraordinaires. Que les scénaristes des Bond de l’ère Daniel Craig les aient écrits ou non en écoutant les bandes originales des Bourne, il est clair que l’espion à la mémoire perdue réapprend en annonçant le nouveau 007, qui a tout à apprendre puisqu’il s’agit d’un reboot, et même la vie amoureuse qui sera elle aussi écourtée dans une séquence aquatique.
La froideur de la Russie suivie des couleurs chaudes du Sud méditerranéen, à commencer par Tanger où Bourne se rend entre The living daylights et Spectre
(crédits photographiques : Universal Studios, Danjaq, LLC./United Artists Corporation/Columbia Pictures Industries, Inc.)
Au-delà d’un sentiment de parenté générale, dû à une certaine forme de sincérité retrouvée, voire du cachet faussement réaliste qui caractérise à la même époque le Batman de Christopher Nolan, il y a bien un transfert de ton jusque dans les couleurs, le cyan étant plutôt associé à la perte et l’ocre à l’urgence. Les deux premiers films avec Matt Damon et les deux premiers de l’ère Craig partagent surtout une manière de représenter l’action qui tranche avec l’ère Brosnan, et un choix de lieux de tournage moins outrancièrement exotiques qu’à l’ère Moore. Mais ce partage va jusqu’à l’emprunt dans Quantum of solace, avec une caméra filmant les protagonistes d’autant plus près que le réalisateur deuxième équipe était celui de Paul Greengrass, et un montage « hyper-cinétique » d’autant plus explicable que l’un des monteurs avait préalablement travaillé sur Bourne supremacy. Mais surtout, l’emprunt va jusqu’à des séquences entières, avec la confrontation en Russie et la poursuite sur les toits comme dans Bourne ultimatum, d’autant que cette poursuite passe également par un saut de maison à maison.
Callisto, astre désertique
Immortan Joe vu par Brendan McCarthy et les soldats Harkonnen de David Lynch, suivis du « earth digger dreadnought » et du « devastator of worlds »
(crédits photographiques : Brendan McCarthy, Dino de Laurentiis Corporation, Brendan McCarthy, José Pereira/Dark Horse)
Les dessins conceptuels forment un substrat qui ne peut être manipulé de la même manière qu’un film abouti, mais cela ne doit pas interdire d’y repérer ce qu’ils partagent d’un projet à un autre, d’autant qu’ils sont parfois exploités après avoir été abandonnés, comme ce fut le cas pour élargir l’univers Star Wars à la création du jeu de rôle. Il ne s’agit pas pour autant d’explorer les sources indirectes, comme cette matrice esthétique que fut la revue Métal hurlant, qui a pourtant inspiré George Miller si l’on en croit Jean-Pierre Dionnet : « c’est vrai que Mad Max vient de Métal ! » Faut-il donc aller jusqu’à voir, dans les travaux du dessinateur Brendan McCarthy pour Fury road, un hommage aux soldats Harkonnen de David Lynch chez Immortan Joe, ou une réinterprétation des Sardaukar du jeu de cartes Dune ? Faut-il aller jusqu’à retrouver, dans son « earth digger dreadnought », les contours du « devastator of worlds » dessiné par Campbell Kennedy pour Dark empire, et s’éloigner encore plus du cinéma en risquant de se perdre dans ses produits dérivés ?
Une voiture des Buzzards selon Peter Pound et le « space ship » de Soldier, suivis d’un War Boy selon Brendan McCarthy et de la Tank Girl de Rachel Talalay
(crédits photographiques : Peter Pound/The Chive, Ultra Blast, Brendan McCarthy, Tom Lowe/Los Angeles Magazine)
Car entre Mad Max beyond thunderdome et Fury road, un hiatus de trente ans a permis une évolution souterraine, d’autant plus ignorée que les blockbusters réussis relèvent rarement du sous-genre post-apocalyptique, quand les nanars « post-nuke » parient moins sur l’invention que sur le faible investissement permettant de créer l’illusion. On peut donc chercher à voir, dans le dessin conceptuel pour Soldier du « space ship » hérissé de piques à l’avant, l’annonce des voitures à épines des Buzzards, qui renvoient à celle de Sol dans Doomsday ou ramènent à la Coccinelle de The cars that ate Paris. On peut surtout voir, dans le dessin proposé par Jamie Hewlett pour le film Tank Girl où apparaît le cercle bleu avec centre rouge, l’annonce du symbole frontal des War Boys tel qu’il est représenté dans les travaux de Brendan McCarthy, quand le truck de la Water & Power fait figure d’étape entre le Mack R-600 Coolpower de The road warrior et le « war rig ». Cela ne retire rien à l’originalité de Fury road, qui ne crée pas de lien direct entre le bras mécanique d’Imperator Furiosa et celui de Kesslee par exemple, ni avec celui de Manchot dans Terminus, mais cette originalité a sans doute été renforcée par le rejet de plusieurs idées parmi les plus référentielles, notamment celle des gratte-ciels en ruine qui auraient rappelé le canyon abandonné de Tank Girl ou les fonds marins de Waterworld.
Le phénomène d’imitation appliqué à un insecte géant dans Mimic, que la production aurait voulu calquer sur Alien quand le réalisateur préférait Frankenstein
(crédit photographique : TyRuben Ellingson)
L’évolution par l’imitation, décrite comme cachant la nature réelle d’insectes prédateurs de l’homme dans Mimic, qui a tout d’un pendant officieux à The relic, n’est-il pas le phénomène créant la confusion entre les surgeons du cinéma populaire et les trouvailles augurales ? Car ce qui prédit dans ce qui copie peut n’apparaître que comme un réassemblage à la façon d’un « kitbashing » culturel, et de ce que pratiquait Godfrey Ho dans la « ninjasploitation » ou Alfonso Brescia en pleine vogue Star Wars, voire de ce qu’avait envisagé Kenner dans le domaine des jouets avec sa ligne « The Epic Continues ». Mais comme dans tous les jeux de symétrie, il faut se méfier de ce qui n’est imputable qu’au contexte de production, ou de ce qui donne trop de sens rétroactivement, tout en reconnaissant que le délai entre chaque œuvre associée à une même licence est propice à l’apparition de parentèles. Et si l’effet Callisto a quelque réalité dans le cinéma populaire, cela signifie que l’avenir des films grand public est en partie inscrit dans les séries B ou Z, ce qui pourrait aussi bien mener à s’inquiéter de la créativité des faiseurs, qu’à reconsidérer le cinéma d’exploitation pour l’envisager comme une ressource.
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