A première vue : Richard Kiel ou un sourire “dents fer”

 

Les personnages secondaires sont parfois aussi remarquables et intéressants que les héros de premier plan. Ça n’a jamais été aussi vrai concernant les films d’espionnage et plus particulièrement avec l’univers de James Bond. Nous allons donc évoquer aujourd’hui durant quelques lignes Requin, l’homme de main à la mâchoire d’acier.

Jaws, en V.O., s’inscrit parfaitement dans la plus pure tradition des vilains. D’abord sur le plan de la force physique. L’acteur qui incarnera par deux fois Requin à l’écran n’est autre que Richard Kiel, une force de la nature mesurant près de 2M18. Le profil “gros bras” indissociable des sbires est parfaitement retranscrit. C’est un premier point réellement récurrent, que ce soit dans l’univers de James Bond ou bien dans l’art cinématographique d’une manière générale.

Autres particularités intrinsèques aux vilains, l’accessoire, les stigmates ou encore la prothèse physique issue très souvent d’un tragique accident. Requin ne dérogera pas à la règle puisqu’il n’aura ni la pince de Tee Hee, ni le chapeau tranchant de Oddjob mais une redoutable dentition en acier. Cette mâchoire résistante et surpuissante permettra, entre autres, de sectionner des câbles et des chaînes mais également d’exécuter par morsures ses opposants.

La force physique associée à la mâchoire de métal apportent au personnage une dimension brutale, primitive, qui renvoi aux peurs les plus élémentaires. D’ailleurs Requin, dans l’excellent opus L’espion qui m’aimait, affrontera ni plus ni moins qu’un… requin ! C’est notre géant aux dents d’acier qui sortira vainqueur de cet épique combat contre le squale. Ce statut invincible, immortel de Requin est à mettre en perspective avec la thématique qui suit.

 

 

Dans les œuvres cinématographiques où Requin apparaît, L’espion qui m’aimait et Moonraker, on peut facilement décrypter une volonté de déconstruire l’aspect effrayant et surpuissant du personnage. En effet, notre géant à la mâchoire d’acier présente une intelligence relativement limitée ainsi qu’une certaine maladresse. Ces particularités s’inscrivent encore une fois dans le profil typique de l’homme de main.

L’échec qui est indissociable de Requin renvoi également à la culture “cartoonesque” et plus particulièrement à l’univers Looney Tunes/Warner Bros. A l’instar du Coyote poursuivant désespérément Bip Bip ou encore du Grosminet désireux de capturer Titi, Requin ne parviendra pas à tuer James Bond. Pire, ses multiples tentatives se solderont dans la plupart des cas par des chutes et autres cascades plus ou moins humoristiques.

Cette déconstruction volontaire du mythe maléfique à souvent été visible au sein de la culture populaire, notamment dans le domaine de l’animation relative aux années 80. Les sbires de Skeletor, Bebop et Rocksteady ou encore les mutants de Plun-Darr constituent autant d’exemples illustrant la démystification des forces brutales malveillantes.

 

 

Le personnage de Requin est une incarnation XXXL du sbire. Au-delà de son physique effrayant et du danger qu’il inspire, le géant a su conquérir le cœur des spectateurs. Les amateurs de l’univers relatif à James Bond sont unanimes : Requin est un personnage atypique et attachant.

Cette dimension a été, en partie, sacralisée par la relation que Requin va entretenir avec Dolly, la jeune femme blonde de petite taille. Notre géant va, par amour, se retourner contre Hugo Drax et ainsi sauver sa bien-aimée (à mettre en symétrie avec May Day). Il aidera également James Bond en sectionnant le câble qui empêche la navette spatiale de décoller.

Ce point est capital sur le plan analytique : Requin n’utilisera pas dans cet acte final ses dents d’acier pour couper le dît câble. Il va l’arracher à mains nues. Ce mode opératoire précis va humaniser le géant mais également créer une dimension héroïque. A la suite de cette scène, Requin sera définitivement “civilisé” et réhabilité en s’exprimant oralement pour la première fois au terme de deux films complets. The power of love !

 

 

10 comments

ayorsaint says:

Très intéressant point de vue sur ce personnage.
Pour ma part la période Roger Moore n’est pas ma favorite donc ce personnage “sympathique” n’est pas celui qui me vient à l’esprit directement quand on me demande de citer un opposant à 007.

Nicko says:

Merci pour votre lecture Ayorsaint 🙂

Je vous rejoins sur le fait que James Bond a rencontré des opposants bien plus charismatiques. Mais Requin a quelque chose de singulier. J’ai une tendresse particulière pour la période Roger Moore même si je sais que les puristes n’en sont pas vraiment fanatiques. Ce que je comprends tout à fait : le très bon côtoie de près le très moyen. Ceci dit, et pour revenir à Requin, je trouve que ce personnage nous renvoi à une posture de proie. Non pas dans l’idée directe de prédation ou de chasse mais plutôt par la domination physique imposée.

Je pense qu’il y a une symétrie à faire avec nos peurs les plus archaïques, presque millénaires et finalement inhérentes au règne animal en milieu sauvage. Requin est, pour résumer, une synthèse de nos craintes les plus ancestrales.

Merci pour votre message Ayorsaint, au plaisir de vous lire 🙂

Je rejoins Ayorsaint sur son opinion concernant la période Moore. Cependant, comme Nicko, j’ai grandi avec ce James Bond là et parmi les adversaires de Moore, c’est bien Requin qui m’a le plus marqué enfant.

Nicko says:

Idem, j’ajouterais également Tee Hee à titre personnel même si je sais qu’il ne fait pas partie des références les plus souvent citées. L’espion qui m’aimait est un opus que j’aime vraiment beaucoup. D’abord pour la thématique sous-marine que j’affectionne. Ensuite il faut mentionner l’interprétation remarquable de Curd Jürgens qui incarne superbement Karl Stromberg. Le personnage est fascinant.
Enfin l’Atlantis est une base sous-marine à mi chemin entre le Nautilus du capitaine Nemo et le mythe des profondeurs de l’Atlantide. Le design concernant la structure de l’Atlantis est très “amphibien”. Une vraie réussite.
L’affection que l’on peut avoir pour une oeuvre, quelle qu’elle soit, est souvent très subjective. Les souvenirs, les circonstances de la découverte, le contexte d’une époque sont autant d’éléments qui nous font apprécier de manière parfois très personnelle un univers en particulier.

Oui, j’ajouterais que Requin tient cette place par son côté personnage récurrent, une chose rare dans les James Bond.

Nicko says:

Absolument, bien vu 🙂

remster_9 says:

Super article ! Personnage que je trouvais terrifiant quand j’étais gamin…

Nicko says:

Merci beaucoup Rémi ! 🙂

Idem, j’étais très impressionné.

KissFan says:

Tiens Nicko, je n’avais pas vu que t’avais coulé ta chaîne d’Andromède pour t’en faire un dentier en métal!
Des films James Bond, je n’apprécie que la période Roger Moore, c’est dire si ce brave Iron-Jaw (pardon, je confonds avec les jouets Big-Jim), je voulais dire Requin, est un personnage marquant des aventures de 007! il offre une belle opposition au flegme de Roger Moore!
Mais avant d’en arriver là, ce bon Requin a certainement participé aux expérimentations du film Phantom of the Paradise qui consistent à extraire les dents pour cause de symptômes de tous les maux! Cela dit, il n’a pas la finesse du dentier de Winslow Leach.
C’est vrai que Requin parvient à se débarrasser d’un vrai requin dans L’Espion qui m’aimait! Je ne me rappelais plus précisément de cette séquence. Décidément, il y a un air de revanche contre les squales depuis les Dents de la Mer. Un autre squale prend cher dans l’Enfer des Zombies!
Concernant Richard Kiel, j’avais beaucoup aimé l’épisode Comment servir l’homme de la quatrième dimension dans lequel il tient le rôle d’un extraterrestre mal intentionné!

Merci pour ce focus sur cet excellent personnage qu’est Requin!

Nicko says:

Pascal, comment te dire ? Je pense, en résonance à la coupe du monde de rugby actuelle, effectuer un drop avec ton chat. J’espère que je raterai la transformation et qu’il se ramassera contre un des poteaux 😀

Après cette digression sportive, je souscris pleinement à ta sensibilité concernant la période Moore qui contient le meilleur comme le pire. C’est purement affectif je dirais car j’ai grandi avec cette incarnation de James Bond. Ceci dit, Sean Connery reste, objectivement, la représentation suprême de l’espion britannique.

Dans l’oeuvre littéraire, on apprend que c’est Karl Stromberg qui est à l’origine de la dentition métallique de Requin. Cette prothèse a été créée afin de réparer une blessure importante à la mâchoire. On retrouve parfaitement cette idée “d’accident”, de tragédie à l’origine d’une compétence physique hors-normes. J’aime beaucoup.

Merci pour ta lecture et tes précisions 🙂

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