L’affaire des Merveilles du Monde
« Jouer sur les formes, jouer sur les couleurs, et associer par exemple un personnage Disney avec notre chocolat. »
Claude Grilleron pour Nestlé Rowntree, Salon du Chocolat 1995
Le goût aurait-il de la mémoire, ou la mémoire du goût ?
(Emma Faille/Ouest-France)
On connaît bien les marques perdues de l’enfance fantasmée, ces goûts du passé qui sont aussi ceux du petit univers de la grande consommation, ou des années quatre-vingts réécrites pour être plus facilement partagées autour de quelque feu médiatico-social : les Raiders et les Treets rebaptisés au nom de la mondialisation, le Banga et le Yes poursuivant leur existence dans des contrées exotiques, les Merveilles du Monde et le tonus au chocolat Topset définitivement disparus. Ah, les Merveilles et leur version luxueuse des images de chocolatier, ces grandes cartes qui atteindront officiellement le nombre de 724, à ranger dans un classeur ou une valisette aux couleurs chaudes… Les Merveilles et leur grande plaque de « chocolat au lait extra-fin aux noisettes et amandes pilées », défendue sur l’emballage par un lion puis un tigre, et sur chacun de ses six grands carrés par un animal en relief…
Une valisette en métal et ses cartes
(La Roue du Passé)
Au commencement, il n’y avait pas de Merveilles en chocolat, encore moins des carreaux sous emballage individuel pour répondre à la mode des mini-barres chocolatées, qui date seulement du milieu des années quatre-vingts. Au commencement, c’est-à-dire à la fin des années vingt, il y avait le monde et ses merveilles, Nestlé voyant là un sujet tout trouvé pour primes en forme d’images rappelant celles des enfants sages, ou celles du concurrent Poulain qui avait trouvé le truc dès 1866. Car les Merveilles les vraies ne seront inventées qu’en 1976, associées dès leur origine à cette intention pédagogico-commerciale qui s’incarne dans les cartes animalières, mais abandonnées en 2006 faute de clients, malgré des partenariats avec le magazine Astrapi et la Compagnie Disney pour renouveler les thèmes.
Les Merveilles avant et après leur disparition
(Les Copains d’abord, Merveilles du Monde)
C’était sans compter sur L’Alsacienne & Co, le racheteur de marques perdues et non le biscuitier racheté par LU, qui s’empara des Merveilles en 2017 et les revendit à Krokola, fabricant marseillais de chocolat pour enfants fondé en 2021. L’histoire officielle veut que seule la marque fut mise sur le marché, non la recette ni les moules, ce qui justifia le rapprochement avec les nostalgiques pour démarrer, du moins autant que le choix du financement participatif. Il aura cependant fallu tenir compte de quelques contraintes, en sacrifiant à l’écologisme avec des cartes à découper, mais aussi en rentabilisant l’entreprise, ce qui explique l’apparition d’une version au chocolat noir, et surtout le passage du poids de la plaque de 125 grammes à 100.
Les engagements tels qu’ils apparaissaient sur la page Ulule
(Merveilles du Monde/Ulule)
Les nouvelles Merveilles, avec leur cacao équitable et leurs cartes portant sur la faune protégée, sont tout à fait fréquentables, presque trop si l’on relève aussi leur affiliation à 1% for the Planet, et leur première apparition à la Grande Épicerie. Elles le sont plus en tout cas que leur cousin espagnol, les plaques de chocolat au lait Jungly, qui sont thématisées sur les animaux et se vendent avec une carte elles aussi, mais contiennent des pépites de biscuit à la place des fruits secs. Cette variante des premières Merveilles, disparue en 2016 et revenue en 2021, pèse comme elles 125 grammes et reste fabriquée par Nestlé, sachant qu’elle possède son application avec cartes à NFT, et qu’elle a aussi été déclinée en version au chocolat noir.
Le cousin espagnol avant et après sa disparition
(WorthPoint Corporation, Your Spanish Corner)
Il est difficile de porter un jugement sur un produit dont le goût tient autant à son goût véritable, qu’à celui vers lequel il renvoie et qui paraît rétrospectivement plus rond, voire aux souvenirs qu’il déclenchera s’il agit comme une madeleine proustienne. Krokola n’en a pas moins accompli un remarquable travail de reconstitution, en faisant dessiner un emballage respectueux du précédent dans sa première forme, mais surtout en reprenant la règle des 30 % de cacao pour 6 % de noisettes et 6 % d’amandes, qui ont certes fleuré avec les 7 dans le passé, sachant que le reversement d’1 % du chiffre d’affaires à des ONG rappelle finalement le reversement d’1 euro au WWF à la fin de la production initiale. On est loin de l’imposture Treets, marque abandonnée par Mars en 1986 avec Bonitos au profit de M&M’s, mais revenue en 2016 par la volonté de Lutti, qui n’a visiblement pas cherché à faire mieux que capitaliser sur un nom, en prétendant avoir respecté une recette qui aurait dû être celle des M&M’s Peanut.
Une carte à découper et le jeu dont elle s’inspire
(Beauthi/Webedia, Bioviva Éditions)
Il fallait peut-être en passer par les réseaux sociaux et les modes récentes, suite à la pétition en ligne de fans visiblement plus intéressants que ceux de Groquik, pour faire de la réapparition des Merveilles un petit événement, et surtout faire du chocolat autre chose qu’un simple produit industriel, distinguable de propositions similaires comme les plaques Ferrero Rocher. C’est sans doute cette idée directrice, qui n’est pas sans rappeler l’intention pédagogico-commerciale de Nestlé, qu’il faut imaginer derrière le choix des cartes, qui résultent d’un partenariat avec l’éditeur montpelliérain Bioviva. C’est en tout cas une sorte de boucle qui est maintenant bouclée, les premières Merveilles ayant été fabriquées à l’usine marseillaise de Saint-Menet, et les nouvelles intégrant la flore jusque sur leurs carreaux, même s’il est à craindre que le succès de la relance ne soit dû qu’à un engouement de niche, associé à des retrouvailles comme le retour de Marks & Spencer en 2011 pour un départ en 2021.
Deux produits dérivés des premières Merveilles, le pin’s dans sa version sans époxyde et le jeu « La Course autour du Monde »
(Lison0478/Vinted, INA)
Remerciements à Nathalie Rabier
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Ça donne faim. Au départ je ne savais pas à quoi m’attendre avec le titre, et paf (pas les chocapics) quand j’ai vu la photo de la tablettes avec le lion, le tigre ou l’ours, cela a fait remonter de bons souvenirs de chocolat.
Grâce à tes écrits Nicolas, nous avons “Les merveilles de FulguroPop”.
Merci pour ce billet plein de gourmandise et de nostalgie.
Nous sommes une génération qui a été matraquée dès le plus jeune âge pr la pub et le marketing et ceux sans quasiment aucune barrière.
Et au delà de la qualité des produits, nous aimions surtout l’image que ça renvoyait.
Et aujourd’hui, nombres de quarantenaires et leurs générations voisines disent ne pas retrouver exactement leurs produits lorsqu’ils existent toujours, lorsqu’ils sont relancés ou même lorsqu’ils en retrouvent d’époque.
On parle d’une époque quand même où par exemple, on avait facilement 5 ou 6 cadeaux par pleins de courses. Tu avais une carte dans le chocolat, un jouet dans les céréales, un autre dans le Nesquick, un gadget dans la lessive et une figurine dans les smarties et un porte clef avec ton t shirt.
J’aurai mis 3 jouets Kinder, mais je ne connaissais pas le porte-clef avec le tee shirt.
Merci pour ces commentaires ! Le compliment de Nicko me touche d’autant plus qu’il fut mon parrain à FulguroPop. Pour répondre à jp, il est vrai que le titre peut paraître un peu déroutant, mais l’idée était de laisser la porte ouverte à d’autres sujets sur le même thème. Et pour répondre à Julortk, je suis d’accord avec l’idée que le matraquage publicitaire a contribué à diriger l’imaginaire de la génération X, d’autant qu’elle est la première à être née dans une société de consommation.