Les produits pas tout à fait dérivés
Après une première partie sur le péri-licensing et le cas James Bond…
L’hypo-licensing : les exemples de Tarzan et Robin Hood
Tarzan de Ferrero à Dakin-Ideal en passant par Mego deux fois
(crédits photographiques : Paul Stadinger, Macflan Museum, Heritage Auctions)
Tarzan est né au cinéma en 1918, mais devenu le sauvage hollywoodien que l’on sait à partir de 1932 sous les traits de Johnny Weissmuller, et donc une figure ancrée dans un inconscient facile à mobiliser, si bien qu’il a sans doute suffi que la série télévisée Tarzan, lord of the jungle soit diffusée à la fin des années 1970, pour que Ferrero se décide à offrir dans ses Kinder Surprise un Tarzan accompagnée d’une Jane en 1977. Mais le grand film sans produit dérivé de l’époque récente est sans conteste Greystoke, sorti en 1984 donc en même temps que la gamme « Tarzan king of the apes » de chez Dakin, ce qui est trop beau pour ne pas être voulu, d’autant que le film était sous-titré « the legend of Tarzan, lord of the apes ». Mais les deux Tarzan de chez Mego, qui représentent l’aboutissement en 1974 d’une négociation délicate avec les ayants-droits d’Edgar Rice Burroughs, peuvent difficilement être associés aux films contemporains, le nanar turc Tarzan korkusuz adam et la pochade française Bons baisers de Tarzan.
Robin Hood de Flynn à Costner à Alf
(crédits photographiques : Mego Museum, Coleka, Poshmark, Inc.)
Robin Hood est d’abord une figure du folklore britannique, avant d’être un Fairbanks ou un Flynn en collants verts à partir des années 1920 ou 1930, jusqu’à retrouver les traits du second grâce à Mego en 1975, puis un Locksley ou un Longstride dans les années 1990 ou 2010, pour bénéficier de toute une gamme chez Kenner dans le premier cas. Il se mêle donc sans difficulté, avec quelques attributs comme le chapeau à plume et l’arc avec flèches, à d’autres imageries reconnues, d’où les Alf en Robin Hood, Mikey the Elf et autres Robin Hood Snoopy. Il se mêle même aux petites choses du quotidien, comme la farine ou le vinaigre et le vin ou le whisky, avec entre autres le Spirit of Robyn Hoode distillé fort opportunément dans le Nottinghamshire.
Tarzan et Robin Hood partenaires ou adversaires mais jamais seuls
(crédits photographiques : PicClick, WorthPoint, K&K Toys and Collectibles)
Il faut donc une figure fondatrice, acceptée par le plus grand nombre et transmissible, mais cette figure peut aussi être créée par le jouet dans une sorte de renversement, car la couleur des dinosaures ne serait sans doute pas ce que l’on croit qu’elle est, sans les figurines de chez Starlux faisant du Diplodocus un animal turquoise jusque dans la gamme « Dino Riders ». Mais on aura beau chercher, on ne trouvera de commun chez Tarzan et Robin Hood, hormis leur origine littéraire, qu’une manière de vivre en relation avec la nature, ou une manière masculine d’incarner une certaine conception du bien, quoiqu’on puisse les associer tous les deux au terrien dépossédé ou au héros agile et loyal, ce qui fait peut-être des tarzanides au sens large et des « robinides » les descendants d’un surhomme caucasien, défendant la justice naturelle à l’arme blanche ou par ses prouesses. Rien d’étonnant dès lors à ce que les deux personnages soient réunis, ensemble et avec d’autres personnages partageant la même parenté, chez Famosa dans la gamme « Disney Heroes » qui les rapproche de Hercule et Peter Pan, ou chez Adelko dans le jeu de plateau qui les rapproche de Superman et Zorro.
L’hyper-licensing : l’affaire Sherlock Holmes
Sherlock Holmes sous licence au théâtre et sous les traits de Basil Rathbone au cinéma
(crédits photographiques : Library of Congress, Notre Cinéma, Cinestranger)
Sherlock Holmes est né littérairement en 1886, et la première licence a été accordée en 1899, par Arthur Conan Doyle lui-même pour une pièce à Broadway, ce qui explique avec le succès du personnage celui des pastiches, qui sont à la fanfiction ce que la haute gastronomie est à la cuisine. Mais pour qu’il y ait produit dérivé au sens moderne, il faut un consensus sur une image exploitable, et ce n’est qu’à partir de 1939, via la série de films avec Basil Rathbone, que la figure holmésienne s’associe à la casquette deerstalker, la loupe et la pipe calebasse. La dernière rupture est le passage du personnage dans le domaine public, qui a commencé en 2013 pour les premiers récits, les « Ten Stories » sur sa maturité n’ayant pas encore dépassé les quatre-vingt-quinze ans depuis leur publication.
Sherlock Holmes de l’officiel à l’officieux au très officieux et cependant très fidèle
(crédits photographiques : Sarah Cavender, Quick-Toy, Leonid)
2013, c’est aussi la date du lancement des premiers jouets dérivés du Sherlock de la BBC avec Benedict Cumberbatch, plus précisément de la figurine articulée de chez Underground Toys et des poupées de chez Big Chief, dans ce mouvement très particulier qui consiste à capitaliser sur une version neuve et protégée d’un personnage ancien et exploitable. Il s’agit presque d’un néo-licensing, comparable au renouvellement des droits sur certaines œuvres, même s’il est en partie justifié par une réinvention ou au contraire interdit par elle, comme avec le Sherlock de Downey Jr. devenu Detective Mr. Mystery chez Belet pour éviter toute tracasserie juridique. Mais dès avant cette date, le mélange des genres avait permis de frauder, par exemple en commercialisant un Holmes et un Watson sous la bannière du jeu Call of Cthulhu, parce qu’ils correspondaient à la catégorie « investigators », et que Grenadier ne voyait que des avantages à élargir le contexte ludique.
Sherlock Holmes n’a pas besoin de porter son nom pour être reconnu
(crédits photographiques : The Plastic Brick/Lego Group of Companies, Play-Original, Lauri Smith)
Mais les gardiens du temple veillent au respect du Canon, et ne laisseront pas passer un pastiche pour un original inédit, comme ce fut le cas en 2015 avec la nouvelle Sherlock Holmes: Discovering the Bordel Burghs and, by deduction, the Brig Bazaar, même si des entreprises comme The Sherlock Holmes Memorabilia Company répondent peut-être moins à leurs exigences qu’à leurs envies. Le Conan Doyle Estate veille lui aussi dans une intention plus commerciale, mais tend maintenant à se présenter comme un réseau d’experts susceptibles de maintenir la fidélité à la source, du moins sur son site : « our team will work with you from concept, completion and beyond – throughout the licensing process to achieve inspiring results on an international scale. » Il est donc question désormais de dépasser le truchement du camouflage superficiel, qu’il s’agisse du Detective de chez Lego ou du numéro 4 501 de chez Playmobil, et les 221B Baker Street se multiplient sur la plateforme Lego Ideas tandis que Richard Unglik l’a reconstitué pour The hound of the Baskervilles façon Klicky, ce qui n’atteint peut-être pas pour autant des sommets anciens de la « sherlockiana » comme les figurines de chez Little Lead Soldiers.
Une vue en coupe d’une exploitation de gypse et une tentative de transfert dans le domaine des produits dérivés
(crédits photographiques : Troglos/Daniel Munier, NF)
L’univers de la culture populaire ressemble à l’empilement de couches géologiques qui a fait de l’Ile-de-France une région de carrières, avant que l’urbanisation n’appose son masque gris sur les richesses du sol. Des strates de marne sans intérêt séparent les masses de gypse donnant le plâtre, et ces trois masses superposées, de plus en plus profondes et de moins en moins épaisses, ont toutes fourni des produits ou des sous-produits partageant la même origine. Ces divers produits n’existent, dans la prolongation matérielle des œuvres fictionnelles, qu’à la jonction du savoir-faire et du vouloir-croire, car ils ne sont que de simples marchandises, sans les signes extérieurs de reconnaissance qui les associent à ce qui ne peut pas être tangible. Et ceux qui, parmi eux, résultent d’une des formes alternatives du licensing contribuent à la pérennisation des autres, permettant ces associations qui se font tout naturellement chez l’enfant, dans un retour cyclique qui ressemble moins à la régression qu’à l’enracinement.
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