Le pseudo-licensing (partie 1/2) : le cas James Bond

Les produits pas tout à fait dérivés

Nicolas Fleurier

« L’imitation, après tout, est une manière de se défaire
d’un objet d’adoration ou de peur, ou les deux.
 »
Jean-Jacques Schuhl


Un univers où l’impossible est une notion très relative
(crédits photographiques : AbeBooks Inc., Bill Hillman)

Dieu sans diable, semaine sans dimanche ou repas sans dessert, il n’existe rien de tout cela, pas plus que de licensing sans unlicensing, mais comme il y a le fromage avant le dessert, du moins si l’on en croit le repas à la française tel qu’il a été reconnu par l’UNESCO, il y a quelque chose entre les produits dérivés et les produits sans licence. Ce quelque chose est un monde matériel aux lois exotiques, sans autonomie véritable comme les satellites des planètes telluriques, mais qui contribue à pérenniser une imagerie collective tout en l’exploitant, par le redéploiement de ressources ou leur renouvellement. Ce quelque chose procède de l’effet de deux forces contraires, qui relèvent de l’imitation et de la création, tout en renvoyant à la dualité intrinsèque du cinéma, dont il tient une grande part de son identité. Il est du plastique dont sont faits les jouets, du métal des voitures pour enfants et du carton des jeux pour familles, mais il est cette sorte de mémoire matérielle que le pseudo-licensing organise en trois strates.

Le péri-licensing : le cas James Bond


De l’officiel à l’officieux à l’officiel et cependant peu fidèle
(crédits photographiques : JK Die-Cast Models, Antiques Navigator, David Williams)

C’est en 1965 que la licence James Bond est vraiment née, avec Thunderball et la gamme de chez Gilbert, et c’est en 1967 que le fabricant britannique Corgi a commencé à s’y associer, avec You only live twice et la Toyota 2000 GT à coffre truqué. Le jeu peut donc consister à chercher, dans la vaste production de la firme au chien royal, toutes les miniatures sans licence qui pourraient s’apparenter à l’univers bondien, de la Mercedes 300 S conduite par Hugo Drax dans le roman Moonraker à la Ford Thunderbird empruntée par Felix Leiter dans le film Goldfinger, quitte à s’aider d’un recensement comme celui fourni par le Q manual de chez Victory Games. Une variante très simple reviendrait à choisir, parmi les voitures sous licence, les modèles infidèles comme la Ford Mustang Mach 1 au capot noir, qui ne valait pas le modèle réduit de chez Taiyo dans sa ressemblance à celle de Diamonds are forever.


Tout le monde aura forcément reconnu le bonnet de George Lazenby et les ailes de Christopher Lee
(crédits photographiques : Metropolis Toys, WorthPoint Corporation, Quality Diecast Toys Limited)

Mieux, la production même de Corgi a connu des moments flous, pour ne pas dire des démarquages, où il s’agissait clairement de s’inspirer d’un des films de la licence, mais sans avoir à la payer ni à se plier aux règles de la fidélité. La première référence non référencée est l’Alpine Ski Set, qui reproduit la séquence de la poursuite à ski d’On Her Majesty’s secret service, sans compter qu’elle fait partie de la gamme « Rockets » et possède sa clef « TuneUp », comme les cinq voitures commercialisés sous la marque « James Bond 007 », mais sans être un produit officiel pour autant. La seconde référence est plus tardive, car il s’agit de l’Aerocar rappelant l’AMC Matador volante de The man with the golden gun, au point d’avoir été décrit comme l’« Aérocar du film “L’homme au pistolet d’or” » dans un catalogue de ventes aux enchères, alors qu’il procède d’une forme de licensing par association jouant sur la proximité chronologique des productions.


Personne n’aura reconnu James Bond en parachute ni sur la pièce truquée ou le menu du Piz Gloria
(crédits photographiques : Claude-François Delarbre, Back in the Day Collectibles, Schilthornbahn AG)

Le transfert est l’autre processus à l’œuvre, quand un objet préconçu ou sans rapport avec la licence est vendu comme produit dérivé, à la manière du Sky Diver de l’époque Octopussy ou des farces et attrapes de chez Coibel. Mais ce processus est parfois rétroactif ou inverse, quand le visiteur du Mondial de l’Automobile reçoit les porte-clefs Kenworth, vendus à l’occasion de l’exposition « Le monde de James Bond 007 » en 1996, comme associés aux trucks de Licence to kill. Et celui qui montera jusqu’au Schilthorn prendra peut-être les spaghettis « James Bond » ou le burger « 007 », avant de passer à la boutique, pour interpréter les cabines miniatures comme un hommage à la séquence du téléphérique d’On Her Majesty’s secret service.

La suite la semaine prochaine (l’hypo-licensing avec Tarzan et Robin Hood, l’hyper-licensing avec Sherlock Holmes)…

3 comments

Nicko says:

Merci Nicolas pour ce nouveau papier rédigé d’une main de maître. Je connais très mal la zone périphérique de la licence officielle James Bond, en tout cas bien moins que celle des Maîtres de l’Univers par exemple. Aussi ta production m’a fait découvrir des produits dérivés insoupçonnés et des configurations pour le moins incongrues. Je pense spontanément à notre classieux Roger Moore dont le visage imprimé sur une carte est surmonté par des lunettes qui apparaissent disproportionnées.

Je me permets, durant une courte parenthèse humoristique, une symétrie un peu légère et qui ne rejoint pas nécessairement la thématique profonde de ton papier Nicolas. Je te prie de m’en excuser. La configuration du packaging mentionné précédemment m’évoque spontanément une mise en scène musicale associée au titre Tropique de Muriel Dacq. Je laisse le lien pour les curieux 🙂

https://www.youtube.com/watch?v=59giI0W8HaM

Merci à toi pour ce retour si rassurant ! J’espère que la suite t’intéressera autant, car il s’agira d’aller plus loin encore dans cet univers quasi-alternatif du licensing qui n’en est pas… Et il faut dire que tu m’as surpris avec ce parallèle entre les lunettes bondiennes et le clip de Muriel Dacq !

Nicko says:

C’est une certitude, je serai des lecteurs qui liront la seconde partie Nicolas et je ne doute pas une seconde du caractère intéressant de celle-ci. Oui, le parallèle avec Muriel Dacq était osé, un tantinet humoristique car, lorsque j’examine la présentation des lunettes bondiennes dans leur packaging, je ne peux m’empêcher de sourire 🙂

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