Cinquième étape du voyage au pays du nanar en quatre étapes
Nicolas Fleurier
« Tout ce qui est miteux devient tôt ou tard mythique. »
Georg Wilhelm Friedrich Hegel
Le soi-disant produit dérivé du nanar coréen Micro teukgongdae Daiyateuron 5, et le jouet dont il est la copie pas si honteuse
(crédits photographiques : WorthPoint Corporation, Transformer Land LLC)
Et si, dans la droite ligne des What if…? de chez Marvel, il était possible que les nanars et les produits dérivés ne fissent qu’un dans certains cas ? Et si, partant de l’idée qu’un nanar est le fruit du décalage entre intention et résultat, il était possible que les produits inspirés ne fussent pas seulement des succédanés ? On ne répondra pas que tout est dans tout et réciproquement, mais on sent bien qu’il y a là une intuition qui ne demande qu’à être géniale, c’est-à-dire prouvée par quelques exemples dont la pertinence aura nécessairement la force de l’évidence. L’idée est donc de partir en vacances au Nanarland de Toyworld, entre le quartier des mashups de Sucklord et le Museum of Toys de Jeff Wysaski, juste au nord de la mare aux ratages catégorie « Pizza Tossin’ Turtles », mais nettement plus au sud de ce qui pourrait prétendre au Toy of the Year.
Du licensing appliqué au nanar
MegaForce était partout ou presque en 1982, du moins dans un journal et un jeu vidéo
(crédits photographiques : Booksteve’s Library, Atarimania)
Il fut un nanar qui aurait dû être un blockbuster, présenté en son temps comme le nouveau Star Wars, alors qu’il aura été éclipsé par Mad Max 2 et autres Star trek II dès sa sortie. Ce chef-d’œuvre du ridicule est connu sous le nom de MegaForce, mais aussi pour n’avoir rapporté que le dixième de son budget, et accessoirement ne jamais être sorti sur DVD en France. Il l’est déjà moins pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, notamment l’attention que lui ont accordé des majors comme Atari et Mattel, qui auront sans doute fleuré la bonne affaire en sortant probablement d’un rhume. Car il est bien connu que vendre à l’aide d’un film aide à vendre, du moins ceux qui possèdent des droits en croyant tenir une licence, et n’hésitaient pas en l’occurrence à annoncer une suite pour en avoir dans les idées. Et c’est peut-être le moment idéal de relever que certains crurent voir en MegaForce un hommage appuyé à la gamme « G.I. Joe: A Real American Hero », alors que la chronologie des sorties leur donne tort, mais que certaines choses dans l’air du temps peuvent prendre différentes formes.
La Moto-Fighter du héros de MegaForce en plein décollage, et le prototype de chez Mattel qui restera au garage
(crédits photographiques : 20th Century Fox, Mattel, Inc.)
La seule transposition vidéoludique du pseudo-blockbuster fut le jeu Mega Force, aussi connu sous le nom de 20th Century Fox Mega Force, édité pour Atari 2600 afin d’offrir l’honneur et l’avantage de piloter la Moto-Fighter du héros. Mieux considéré que le film et pourtant simple shoot’em up, ce titre est surtout resté dans les mémoires pour l’apparition de Bryan Cranston dans la publicité vantant ses mérites. On aura donc compris que MegaForce ou ses promoteurs avaient misé sur les véhicules, et c’est en toute logique que Bandai sortit une maquette motorisée du Mega-Cruiser, sans pour autant s’intéresser au reste des Mega-quelque chose. Mais le grand moment de la licence qui n’en a pas été une fut la collaboration avec Mattel, qui sortit une série de cinq miniatures, un hélicoptère et un circuit sous la bannière « Hoth Wheels », mais qui ne s’était pas contenté de cette facilité prudente. Car la major avait travaillé en collaboration avec le chef décorateur Bill Fredericks sur le design des véhicules du film, ce qui la rend à la fois responsable de la moto qui vole avec des câbles et de sa version réduite, donc d’une sorte de cohérence nanarde à comparer au fait d’avoir parié peu de temps avant sur Battlestar Galactica.
De la nanardisation appliquée au jouet
Deadpool et Iceman façon Gulliver, l’un posant avec des jarretières prises au Doctor Doom et l’autre avec des griffes prises à Wolverine
(crédit photographique : Daniel Pickett/Jason Geyer)
Dans l’univers vaste et varié du produit dérivé, il y a beaucoup de choses louches voire ratées, des Arrakiens replets de chez LJN inspirés du Dune de David Lynch aux gangsters engoncés de chez Playmates inspirés du Dick Tracy de Warren Beatty, ou des cailleras de banlieue par anticipation, et de leur manière si particulière de tenir les bras écartés quand il faut marcher. Mais il y a aussi et surtout les quasi-produits dérivés, ou disons les post-produits dérivés, qui poursuivent une gamme par une autre après que la licence a été perdue, ou qui donnent le change en s’inspirant de ci et de ça comme les manèges de fêtes foraines, ceux-là mêmes dont le Batman peint sur la voiture noire ressemble plus à une gueule cassée qu’à un super-héros. Et puis il y a le Brésil, ses Model Trem en métal et son MacGyver en plastique, à l’ère où les démocraties populaires donnaient dans le bootlegging de figurines américaines, car le Brésil tenait son géant avec Gulliver, qui avait acheté à Mattel la licence « Secret Wars » pour mieux s’essayer aux blisters cassables. Et pourtant, c’est après que les choses se sont vraiment gâtées, quand ledit Gulliver s’est demandé si le principe de Frankenstein n’avait pas du bon, et si Model Trem n’avait pas montré la voie avec ses « Novas Aventuras na Galáxia ». Le résultat s’appelle « Future Warriors », et consiste à réassembler ou repeindre des figurines « Secret Wars » pour les vendre sous un autre nom, ce qui donnera entre autres un Deadpool et un Iceman rebaptisés respectivement Darklord et Nitro.
Gladios sous blister, et l’affiche inimitable mais pas trop d’un nanar italien plus connu sous le nom d’Atomic cyborg
(crédits photographiques : Teddbest, CineMaterial)
Et dans la catégorie je-pompe-et-je-ris, où il s’agit de pomper sans trop de moyens ni prendre le risque d’un procès, je nommerais une fois de plus Gulliver, qui rafle la médaille d’or après la médaille d’argent avec sa gamme « S.O.S Commandos ». Car il s’agit là d’un double hommage ou d’un double emprunt, c’est selon, en l’occurrence à Commando pour les figurines et à Vendetta dal futuro pour les blisters, autrement dit à un nanar disputé et à un nanar vérifié. On passera sur la particularité de commercialiser les figurines avec un socle, ce qui est toujours inquiétant pour des actions figures ou leur stabilité, mais on ne peut pas ne pas relever que les véhicules raccrochés à la gamme ont été empruntés à « Secret Wars », parce que ce n’est pas une nouvelle peinture et quelques autocollants qui vont flouer l’averti. Mais dans la réalité d’une production contrainte par les moyens du bord et les goûts en vogue, il s’agit de figurines façon « G.I. Joe » en plus rigides, dont une qui hésite assez nettement entre le Lord Humungus de Mad Max 2 et le Gladiator de chez Marvel. Ce Gladios bien nommé ressemble à s’y méprendre au Psycho de la gamme « Commando » de chez Diamond Toymakers, de même que le Bad Ninja au Lead-Head et ainsi de suite, ce qui prouve s’il le fallait que la nanardisation n’est pas un truc d’amateur mais de gens bien informés.
Les trois parties des quatre premières étapes : 1, 2 et 3.
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Aahh voilà un sujet passionnant, je sais que les jouets de ce type connaissent un franc succès chez les gourmets du toys. Merci de t’être penché dessus, Nicolas !
Avec plaisir, d’autant que ces jouets de niche ont un je-ne-sais-quoi de touchant !
Merci Nicolas pour ce dossier encore une fois rédigé d’une main de maître. Je me suis particulièrement intéressé aux bootlegs dans les gammes SilverHawks et Cosmocats. Pour autant, lorsque je regarde les blisters Future Warriors qui illustrent ta production, le logo m’évoque farouchement celui de la gamme Maîtres de l’Univers – New Adventures of He-Man. La forme géométrique en fond est exactement la même que celle utilisée par Mattel sur ses conditionnements N.A, tout comme le code-couleur général.
Je ne sais pas quand ont été commercialisés ces blisters Future Warriors, mais très probablement durant la première moitié de la décennie 90. Merci de nouveau pour ce moment de lecture.
Merci pour ton commentaire ! A ma connaissance la gamme “Future Warriors” date du début des années 1990, ce qui la rend contemporaine des “New Adventures of He-Man”. Tu as sûrement mis le doigt sur un transfert, d’autant plus probable que la première source d’inspiration de Gulliver était déjà une production Mattel !
Merci pour tes précisions Nicolas. Je voudrais également rebondir sur la dimension touchante que tu évoques dans un précédent commentaire, sentiment dont la source te semble difficilement indentifiable. Je crois que ces jouets de niche nous renvoient inconsciemment aux jouets de bazar présents dans ces grands présentoirs où l’on farfouillait, un peu à l’image d’une chasse au trésor. Et puis il y avait ces pièces au fond du porte-monnaie qui servaient à payer des sommes souvent modiques. On achetait finalement une idée, un ”look-like” d’une grande licence mais à travers quelque chose de plus populaire, de plus confidentiel vis-à-vis d’une mode, au point de trouver la chose parfois unique, originale et pourquoi pas précieuse dans les yeux d’un enfant. Enfin, il faut peut-être associer à ces déclinaisons de niche une occasion d’obtenir un jouet dans un moment inattendu, grâce notamment à l’accessibilité du prix, et ainsi sacraliser un instant de vie intimement lié à l’enfance. Voilà mon ressenti, qui vaut ce qu’il vaut, pour tenter de poser des mots sur ce je-ne-sais quoi de touchant.
Je partage ton sentiment pour ces jouets qui en ont remplacé d’autres par défaut ou par dépit, et qui ont gagné dans l’opération un statut très différent de leur nature réelle. Peut-être que ces jouets-là sont plus encore ceux de la nostalgie… Car souvent oubliés depuis le temps de l’enfance, et accessoirement plus rares pour avoir été des objets de remplacement vite délaissés, ils entretiennent parfois une relation presque intime avec ceux qu’ils ont rendus heureux. Et peut-être qu’ainsi, l’alternative du faux contribue à la formation d’un passé alternatif…