Voyage au pays du nanar en quatre étapes
(dernière partie)
Après avoir questionné la notion de nanar dans la première partie, puis trouvé quelques règles fondamentales dans Syngenor, et après avoir dégagé des règles plus secondaires grâce à Dark breed dans la deuxième partie, et vu comment tout cela pouvait bien mener à Cyborg cop, il s’agit enfin de conclure, mais pas avant d’avoir rendu hommage à Chuck Norris.
Contre-exemple : Hero and the terror (1988)
Chuck sait aussi s’épiler le torse… dans un entrepôt abandonné… d’un coup de bras…
(crédit photographique : Golan-Globus Productions)
Chuck Norris n’est pas seulement l’icône nanarde qui aurait compté jusqu’à l’infini deux fois, ni l’acteur qui aura fait de l’inexpressivité son métier, mais d’abord un karatéka qui a bâti toute sa carrière sur une apparition dans un Bruce Lee, et qui a rejoint les petites gloires de la Cannon avant de partir en préretraite au Texas. Mais dans son Hero and the terror où le héros est forcément lui, il évite tout détour par la ninjasploitation, alors que chacun sait qu’un nanar sans ninja vaut rarement mieux que des frites sans mayonnaise, et rate la digression sur la blaxploitation, alors qu’on a engagé Steve James mais c’est rien que pour le faire tuer. On a pourtant des signaux forts, notamment de la bodysploitation pour compenser, à l’occasion d’une exposition montrant accessoirement que Chuck sait aussi s’épiler le torse, un début tourné dans un entrepôt abandonné et une fin tournée avec la doublure de tous les cascadeurs, j’ai nommé le mannequin qui va bien. C’est ce qu’on peut appeler un vrai potentiel, surtout avec ces maquignons de Golan-Globus à la manœuvre, et un scénario plutôt mal inspiré de Halloween, mais la chose donne très vite des signes inquiétants, comme le fait que le scénario en question soit tiré d’un bouquin car ça fait craindre qu’il soit structuré, ou l’idée pourtant abandonnée en chemin que Chuck tente cette fois le contre-emploi, car il a choppé le méchant sur un coup de pot et n’aime pas qu’on l’appelle « héros », mais on montre ensuite qu’il est capable d’arrêter un voleur à la tire d’un coup de bras.
Le coup du logo… plus daté que kitsch… dans une baraque à frites…
(crédit photographique : Golan-Globus Productions)
Ah, on me dit dans l’oreillette de ne pas perdre trop de temps à prouver que le film fait le lien entre Sudden impact et Silence of the lambs, ni de trop gloser sur ce qu’il convient d’appeler le coup du logo, car ce n’est pas parce qu’un métrage a droit à son logo, comme si c’était sérieux ou une licence, que le cadeau est aussi joli que le papier cadeau. Plus lent que long, plus daté que kitsch, et plutôt avare en katas comme la plupart des Chuck, ce Hero and the terror se range finalement dans les films à cinq ou assimilables, pour reprendre l’échelle de notation d’IMDb, donc dans cette catégorie qui n’est ni le nanar ni le navet des films tout simplement inutiles. Et pourtant, on pourra relever un vague truc en plus, du moins un rapport particulier avec un sujet déjà évoqué et éminemment intéressant, j’ai nommé les frites, car le héros travaille momentanément dans une baraque à frites, mais c’est sous couverture et on ne comprend pas trop ce qu’il y fait avec sa poêle. Le seul grand moment du film est donc un dialogue en version française aussi gratuit que stupide, et par conséquent indispensable, quand Chuck dit à sa petite amie enceinte, et du reste américaine pure laine, « tu as la frite, toi, pour quelqu’un qui attend un bébé », pour s’entendre répondre « ce sont mes origines belges… »
Etre nanarophile ou ne pas être…
(crédit photographique : Nanarland Le blog)
Il serait vain de prétendre avoir fait le tour d’un sujet qui n’en a pas, d’autant plus en quatre étapes sur un itinéraire bis mais américain, car si le nanaromètre s’affole aussi rarement en France que le genromètre, il peut atteindre des sommets à Hong Kong ou en Turquie. Toujours est-il que les « films mal foutus », pour reprendre l’expression de Jean-Baptiste Morain, ne respectent pas plus les frontières que le reste, puisqu’il ne s’agit pas tant de se référer à un substrat culturel que d’adopter un certain regard, pour reprendre une expression purement cannoise. Car ce « cinéma marginal et décalé », pour citer cette fois Nicolas Lahaye, trouve sa raison d’être rétrospectivement, dans cette sorte d’échec qu’incarne la distance entre intention et résultat, et cette sorte de plaisir que donne l’Erwartungshorizont à l’habitué. Il ne s’agit donc pas de tomber ou non dans le mauvais goût, dont l’existence n’est d’ailleurs certaine que si celle du bon l’est au préalable, mais apprécier un nanar n’en suppose pas moins une certaine éducation, comme apprécier un film muet aux intertitres en allemand suppose une certaine préparation.
Il serait sans doute excessif de comparer la nanaritude à la démarche des surréalistes, comme a pu le faire Antonio Dominguez Leiva, et les nanarophiles n’ont pas besoin de voir leur approche intellectualisée pour qu’elle soit justifiée, même si elle revient peut-être à chercher une certaine beauté dans une certaine laideur. Ces interprétations n’en ramènent pas moins à la difficulté de définir le nanar, en raison de la subjectivité de sa réception comme de sa reconnaissance, dans la mesure où la reconnaissance peut passer par des moments dédiés comme les Nuits excentriques de la Cinémathèque française, mais aussi en raison de la multiplication des nanars volontaires, autrement dit les mauvais films fabriqués à la Toxic avenger ou Sharknado. Et si les nanars forment la banlieue du cinéma, ils souffrent eux aussi de la densification par la multiplication des habitats collectifs, à savoir les mockbusters de chez Asylum aux CGI médiocres, ou les productions Hallmark Entertainment pour après-midi pluvieux. Mais alors, cette banlieue a l’avantage de bénéficier d’un programme de réhabilitation dédié, étant donné que le film manqué s’apprécie toujours mieux en version française, dans ce pays où Hokuto no Ken est devenu « au couteau de cuisine », et les dialogues de Dumbbells une prouesse digne d’une synthèse vocale.
Les deux premières étapes ont été prépubliées sur AstéroFulgure.
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Les SharkMachin et autres qui se disent nanards alors que comme dit c’est du full voulus et assumés ne sont pas des nanards juste du marketing.
Un exemple avec les Machete qui sont rigolos à regarder et qui sont des nanards assumés, donc n’en sont pas.
Le vrai nanard est le film dont le réalisateur croit sincèrement faire du bon travail sans arrière pensée mais au final ce rate.
Voici pour moi ce qu’est un nanard.
Je suis tout à fait d’accord ! Le nanar procède toujours d’une certaine honnêteté, et si l’on sent chez des réalisateurs comme Robert Rodriguez la volonté de rendre hommage au cinéma d’exploitation, il est clair qu’il s’agit d’une intention purement commerciale dans le cas d’Asylum.
Le nanar volontaire est une plaie et une forme de facilité commerciale.
Oui, et les mockbusters sont au mieux un pastiche, comme les présentait Amelia Tait dans un article pour le Guardian, au pire un plagiat, comme les définit le site Nanarland dans son glossaire.