Voyage au pays du nanar en quatre étapes
(première partie)
Nicolas Fleurier
« Où le 7ème art est tout autant ravalé à son statut de pure industrie
que sublimé par la grâce involontaire d’artistes aussi sincères que maladroits. »
François Cau, Nanarland. Le livre des mauvais films sympathiques. Episode 1
Etre un nanar ou ne pas être…
(crédits photographiques : Cactus Films, ESI, Nu Image Inc., Global Pictures)
Les métropoles ont leurs couronnes, banlieue et ceinture périurbaine, de même que le cinéma populaire a ses nanars, qui forment peut-être moins un cercle qu’une strate, mais de toute façon une conurbation avec le cinéma petit et grand. Il est pourtant plus difficile d’en définir le contenu que les contours, et quand François Forestier s’y essaye dans son anthologie des 101 nanars, il croit que raisonner par l’absurde justifiera sa démarche, et que s’encanailler à revoir The ten commandments ou à réécrire The IPCRESS file sera la bonne. Mais heureusement, il y a le site Nanarland et sa manière de traiter les « mauvais films sympathiques », en les évaluant sur une échelle qui traduit leur degré de nanaritude comme on dirait de la belgitude, tout en laissant les notes sans critères aux professionnels de la carotte et du bâton. Toujours est-il que le nanar n’est pas le navet mais pourrait l’être : si c’était un genre, ce serait celui de Schrödinger car le nanar n’est pas dans le même état selon le point de vue adopté, et peut-être aussi le moment puisqu’il ne forme pas toujours un tout, comme le démontrent entre autres les deux-en-un en ayant l’avantage de le montrer.
Faut-il donc repartir du « worst film of all time » en commençant par Ed Wood, et en oubliant que le cinéma était loin d’être fini quand le titre a été décerné, ou faire la liste des péplums qui ont laissé passer quelques montres sans avoir mérité un Razzie ? Faut-il plutôt partir des bacs à petits prix des supermarchés, donc de l’univers du DTV peuplé par les Steven Van Damme et autres fils-de, qui aura trouvé avec Internet une plus grande accessibilité en même temps qu’un moyen de fédérer ? La nanaritude participe d’une tectonique du cinéma qui échappe aux lois de la physique, mais désigne aussi cette ouverture d’esprit qui semble pourtant s’opposer à l’esprit critique, et peut paradoxalement rassurer sur l’être humain en illustrant le presque pire dont il est capable. Mais elle renvoie à des attendus à défaut de renvoyer à un modèle, et ces attendus ne peuvent vraiment s’appréhender qu’à travers les exemples, car il n’existe pas un nanar mais des nanars qui font le nanar.
Règles fondamentales : Syngenor (1990)
Le film s’appelle Soldat cyborg alors qu’il n’y a pas non plus de cyborg dedans.
(crédit photographique : BFC/American Cinema Marketing)
Mais si mais si, mon bon monsieur, le nanar aussi, il a ses règles, c’est juste pas les mêmes que pour les autres films. Vous voyez, ces virages scénaristiques en épingle, sans l’ombre d’une alerte pour les annoncer avant, et puis ces points de vue remarquables, où il faut s’arrêter pour ne rien voir d’utile en réalité ? Tenez par exemple, le méchant de Syngenor, il veut tuer ses monstres parce ce que ça va trop loin ou qu’il ne veut plus les vendre, il envoie la cavalerie et puis la minute d’après ou pas loin, il va plutôt se les garder au frais pour mener à bien son grand dessein : ça, c’est un virage en épingle ou je ne m’y connais pas ! Et vous voyez, cette fille qui montre tout à coup sa paire de seins, vous l’avez bien vue alors qu’on est quand même dans un laboratoire et qu’on n’a pas vraiment chauffé la salle avant, mais on a convaincu le cadreur d’insister quand l’attaque survient et que c’est encore moins le sujet : ça, c’est un point de vue qualifiable de plan nichon !
Le labo n’a rien d’un labo puisqu’on a tourné dans la cuisine.
(crédit photographique : BFC/American Cinema Marketing)
Mais si mais si, ma bonne dame, le nanar aussi, il a des acteurs et des décors qui ont été faits rien que pour lui, il n’y a pas de raison. Mais c’est des acteurs pour de faux qui jouent la carte de la famille dès qu’ils peuvent, parce qu’elle est engagée dans le business tout entière ou qu’un parent portant le même nom a fait carrière, et des décors polyvalents comme les gadgets multifonction de chez Cassprix. Là par exemple, on est dans un hôtel en vérité, et donc, l’accueil de la boîte, c’est un couloir, le showroom, c’est une chambre, et le labo n’a rien d’un labo puisqu’on a tourné dans la cuisine, mais c’est ça aussi, la magie du cinéma ! Et sinon, la jaquette du DVD de chez Cactus Films dit qu’il y a des « stars du cinéma fantastique » dedans, mais c’est la même qui dit que le film s’appelle Soldat cyborg alors qu’il n’y a pas non plus de cyborg dedans, seulement David Gale prouvant qu’il n’avait pas atteint les limites de l’art de la grimace dans Re-animator, mais c’est ça aussi, la magie du marketing !
Une vampirisation par-ci et un crâne éclaté par-là, comme un marquage au sol par endroits.
(crédit photographique : BFC/American Cinema Marketing)
Ah j’oubliais, il y a forcément, dans tout ce qui nanarde plus ou moins sévèrement, matière à se pencher sur la problématique du goût ou le goût problématique, partant de l’idée que ce qui est beau dans la mode parce que c’est cher est kitsch au cinéma parce que ça se voit. Et ici, on a droit à une séquence émotion post-sado-maso du plus mauvais effet, histoire d’expliquer pourquoi l’acteur cité plus haut porte un masque de lapin derrière la tête un court moment, ou de justifier pourquoi il prend de la drogue vert fluo à intervalles irréguliers. Et puis, il y a la question du genre, donc une vampirisation par-ci et un crâne éclaté par-là, comme un marquage au sol par endroits, et qui fait croire à de vraies intentions l’espace d’un instant d’égarement, en ramenant à ce qui ne sera pas atteint de toute façon. Et enfin, il y a la réciproque au théorème dit de Cubby, qui professait que le moindre sou dépensé devait se voir à l’écran, ce qui porte à croire que les maquilleurs n’ont pas été assez payés pour la créature finale, au mieux un hommage d’une classe de CM1 à The fly, au pire une panoplie pour Halloween sauvée d’un incendie volontaire.
Parce qu’on avait fait des masques pour, et qu’on a hésité à les jeter à la poubelle après.
(crédits photographiques : TiVo Platform Technologies, LLC, The Bloody Pit of Horror)
Après, il y a tout de même du bon, dans cette espèce de navet qui a poussé entre les potagers d’Alien et de RoboCop, mais je ne parle pas des cataphotes à la place des loupiotes sur les casques de la troupe de choc, quoique. Je ne parle pas non plus du nom de la compagnie qui fait des monstres en plastique et des armes du même acabit, mais qui fait le lien avec un cyborg qui n’en était déjà pas un, quand le scénariste s’est dit qu’il n’allait quand même pas appeler sa boîte Cyberdyne Systems en remarquant que son antivirus était un Norton, et qu’il pouvait tenter Norton Cyberdyne sans trop prendre de risque. Non, j’ai envie de dire qu’on est là sur une grande tradition, celle qui explique rien moins que l’existence de la licence Planet of the Apes, mais oui, car le film est presque une suite, celle de Scared to death parce qu’on avait fait des masques pour, et qu’on a hésité à les jeter à la poubelle après. On est peu de chose et ça tient à rien, l’avenir d’un projet dans cette réalité alternative du cinéma second comme on dit de l’état, ou ça tient à un rayon occasion à un euro chez Book Off, mais ça, c’est une autre histoire, ou disons l’autre vie du cinéma que le vrai cinéma ne connaît pas.
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