La question de la vision dans les films de genre
Précédemment dans « Les yeux dans les yeux de l’écran » : « on se dira quand même qu’on pourrait faire chic par la même occasion et donc un peu de grec, en désignant la vision normale ou censée l’être par le terme le plus concret c’est-à-dire omma, et la vision transformée avec plus ou moins de bonheur par le mot opsis. »
De la vision du matériel à celle du tout
L’huile et l’eau ne sont pas miscibles, ce qui est valable aussi pour le laser et la caméra dans Black Moon rising
(crédit photographique : New World Pictures)
La vision peut être transformée par un instrument de vue ou d’optique, et hésiter alors entre omma et opsis, pour donner dans la réalité réduite avec tout ce qui ressort du judas, mais aussi dans la réalité améliorée ou dans la réalité augmentée, comme avec le bathyscope de Waterworld ou les lunettes de Kingsman: The secret service. Le réel fictionnel peut même être annulé et remplacé, par la vision impossible du véhicule au moment où il va percuter un obstacle, ou dans They live avec le procédé masquant les extra-terrestres et leurs slogans injonctifs, pour faire de la vision normale la vision fausse et mieux la remettre en question. Cet omma de substitution est plus souvent celui des écrans, qui sont très nombreux sur le grand et fréquemment associés aux caméras, elles-mêmes associées plus fréquemment encore aux gardes bedonnants et aux héros qui cherchent à les neutraliser pour le bien du scénario, avec un rayon laser dans Black Moon rising ou une bande vidéo dans Hudson hawk. Evidemment, tout ça c’était avant l’ère dite de Tom Pouce et l’écran si particulier de Mission: Impossible – Ghost protocol, qui simule la perspective grâce à un projecteur avec « iris tracking », mais ça ne veut pas dire que le sous-thème des écrans associés à des ordinateurs est moins représenté, même si Luke Skywalker a prouvé qu’un ordinateur de visée ne valait pas la perception à travers la Force.
Les prémices des drones, avec le missile voyant de Never say never again et le satellite voyeur de Patriot games
(crédits photographiques : NSNA Company, Paramount Pictures)
Les drones qui filment sont peut-être moins une alternative aux écrans-caméras qu’un avatar des missiles soi-disant intelligents, comme ceux dont on montre le réalignement régulier dans Never say never again, et ceux qui offrent un pseudo-omma du dessus ou du côté dans Stealth, ramenant à tous ces projectiles dont on rapproche le spectateur dans une intention plus spectaculaire que clinique. Annoncés par la séquence satellitale de Patriot games, où l’on ne voit du nettoyage d’un camp terroriste que des formes mouvantes et mourantes, ils sont un simple réticule modernisé dans Outside the wire mais l’incarnation de l’intrusion dans Seuls le film ou Code 8, qui parle même de « drone support » et d’« escort drone » car ils larguent du robot. Ils sont aussi et surtout un nouvel outil pour les réalisateurs, que ce soit dans l’idée de filmer une poursuite à moto dans Skyfall, ou de tourner autour de la piste aux étoiles dans The greatest showman, et cela rend leur cinéma encore plus éloigné d’une vision de type omma, du moins quand les drones ne servent pas une idée plus générale d’immersion comme celle du plan-séquence ouvrant Spectre.
Le truc d’eXistenZ pour changer d’environnement se branche sur la colonne vertébrale, mais celui de Ready player one reste inspiré de simples lunettes même dans sa version conceptuelle
(crédits photographiques : Pathé, Ulrich Zeidler/Warner Bros. Entertainment Inc.)
Brainstorm a précédé les drones et pourtant dépassé la sectorisation des sens, en proposant de ressentir ce qu’ont ressenti ceux qui ont enregistré ce qu’ils ont vécu y compris leur mort, donc en offrant un omni-omma qui souffre de l’effet « fish eye » propre à son époque. Dans le même ordre d’idées et dans un futur toujours proche, mais peut-être moins pour aboutir à une immersion absolue que pour faire mieux que le LSD, le Squid de Strange days donne l’impression d’un vécu emprunté en ouvrant la voie à la Pensieve de la licence Harry Potter, et le Pod d’eXistenZ donne celle d’un vivable fabriqué en s’adressant lui aussi au cerveau sans intermédiaire hormis un cordon. Mais le principe de la plongée en univers étranger s’accompagne paradoxalement de la médiation de personnages dans tous les cas, au point qu’il n’y a pas d’Avalon sans Ash ni de Ready player one sans High Five, même si ces deux univers sont assez proches par leur esthétique d’une véritable opsis. Cela reste vrai jusque dans la licence Matrix, où la Matrice a pourtant deux aspects très différents selon qu’on vive dedans ou qu’on l’observe du dehors, mais même si elle est le seul endroit où les gentils ne portent pas de pulls et les méchants mangent des biftecks, elle reste « the world that has been pulled over your eyes to blind you from the truth. »
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