Pour ce nouveau dossier du samedi, j’ai choisi d’évoquer la gamme de jouets vintage qui me fascine le plus, celle des Power Lords, et ce à travers une créature, le Trigore. Les guerriers extra-terrestres me passionnent et je suis, encore aujourd’hui, subjugué par le travail dont la licence a bénéficié. Aussi, je ne manque pas une occasion ou même un prétexte pour mettre à l’honneur les Power Lords.
Il faut dire que cette gamme de jouets ne fait clairement pas partie des licences en vogue, et c’est très bien ainsi. Ce qui reste “underground” est d’une certaine manière préservé. Pour autant, il est aussi impératif de faire vivre ces trésors du passé afin d’éviter qu’ils ne tombent définitivement dans l’oubli. C’est ce que je m’emploie à faire, le plus modestement du monde.
Voici la structure rédactionnelle du dossier : dans un préambule très bref, je vais rappeler quelques éléments chronologiques concernant la gamme Power Lords vintage afin de situer celle-ci dans une temporalité. Je présenterai ensuite un document conceptuel relatif à Trigore. Suivra une étude de style avec des symétries culturelles. Enfin j’évoquerai les particularités du packaging européen ainsi que du jouet. Le traditionnel épilogue clôturera l’analyse. Bonne lecture à tous.
Des guerriers extra-atmosphériques
La licence Power Lords est avant tout le fait de deux hommes, Ned Strongin et Len Mayem. Ces toys créators vont contacter l’artiste Wayne Barlowe après avoir découvert un livre illustré par celui-ci. En effet, comme nous le savons tous, c’est le Barlowe’s Guide to Extraterrestrials, publié en 1979, qui constituera le point de départ. Wayne Barlowe conceptualisera la plupart des jouets Power Lords.
L’année 1982 sera le dépôt officiel de la licence et les premières déclinaisons plastique seront commercialisées dès 1983. Le personnage central des guerriers extra-terrestres est Adam Power. La résonnance nominative est forte puisqu’elle suggère le Prince Adam des Maîtres de l’Univers mais aussi les origines de l’humanité selon l’acception théologique.
Les jouets Power Lords seront littéralement imprégnés par la science fiction horrifique. Ils seront atypiques, très en avance sur leur époque. Personne n’était prêt à accueillir ces créatures torturées, autant les enfants que les parents. En l’absence de support animé dédié, le sort des guerriers extra-terrestres allait être prématurément entériné. Ils finiront d’ailleurs en grandes quantités dans les solderies ou chez les marchands de journaux.
Conceptualisation du Trigore
J’ai à disposition un concept art du Trigore signé par Wayne Barlowe. L’année 1982 est mentionnée sur le document. Pour l’anecdote, Barlowe a créé de toutes pièces les jouets Power lords car les illustrations de son recueil, le Barlowe’s Guide to Extraterrestrials, étaient soumises à des droits et ne pouvaient pas être déclinées en plastique. Pour l’anecdote, Strongin et Mayem souhaitaient au départ utiliser certains croquis du livre de Barlowe comme modèles dans l’idée d’en faire des jouets.
Premier point notable : même si la qualité du document est passable, on apprécie immédiatement le coup de crayon du maître. C’est détaillé, organique, surnaturel, horrifique, bref c’est du Wayne Barlowe. Malgré la résolution très basse, on peut décrypter dans les annotations les termes “transport” et “tripodal”. La volonté du concepteur est claire concernant sa création.
Autre particularité à souligner, la présence de petites roues à l’extrémité des trois pattes. Un détail important qui va apporter de la fonctionnalité et donc de la jouabilité. Trigore est à mi-chemin entre le véhicule et la créature.
Ensuite si on examine la première coupe en tranche sur la droite, on aperçoit une cavité centrale destinée à recevoir un personnage. La notion de transport, mentionnée sur le document, est symbolisée par cet emplacement. Enfin il faut souligner la mâchoire du Trigore, imposante, avec ce qui semble être des bras articulés ou des mandibules. Je reviendrai sur ce point précis dans quelques lignes.
Je vous joins ci-dessous un premier visuel du jouet en loose afin que vous puissiez déjà établir des symétries avec l’illustration conceptuelle.
Etude de style et influences
La dimension tripode du Trigore est fondamentale. C’est ce qui caractérise le jouet, au-delà de sa faculté à transporter un passager. Cette originalité biologique était déjà largement visible dans le recueil extraterrestre de Wayne Barlowe qui est, pour rappel, antérieur à la création du Trigore.
J’ai donc extrait trois créatures qui corroborent mon propos. Ce sont des interprétations de Barlowe issues de véritables œuvres littéraires appartenant au genre de la science fiction. Des auteurs notables comme Larry Niven, James White ou encore Robert Silverberg seront d’ailleurs évoqués dans le recueil extra-terrestre de Barlowe. Les croquis ci-dessous, au-delà de leurs qualités graphiques, illustrent parfaitement l’esthétique tripode mentionnée précédemment. La multiplicité des membres est une vraie marque de fabrique chez Wayne Barlowe.
Toujours dans cette volonté de décryptage stylistique, je souhaiterais évoquer les mandibules du Trigore. Les entomologistes en herbe seront forcément interpellés par le design de celles-ci. Il faut en effet s’orienter vers la famille des coléoptères, avec le Lucane cerf-volant. Ce scarabée, plutôt massif, est doté de mandibules surdimensionnées dont la structure suggère celles du Trigore.
Un seconde famille de coléoptère peut être mentionnée concernant cette fois la partie noire qui surmonte la tête du Trigore. Il s’agit du scarabée rhinocéros japonais. Cet insecte typiquement asiatique a pour particularité d’arborer une corne en forme de Y.
Ces porosités ne sont pas anodines. Elles proviennent très certainement d’une culture, d’un héritage générationnel. En effet, les parents de Wayne Barlowe, Dorothea et Sy, étaient des illustrateurs de renom, spécialisés dans la faune et la flore naturelles. Imaginez les innombrables croquis auxquels Wayne Barlowe a eu accès. On peut parler d’initiation, de sensibilisation à la biologie au sens large du terme.
Esthétique et références postérieures
Avant d’aborder le jouet et son packaging, je souhaiterais évoquer deux illustrations toujours réalisées par le maître Barlowe. Elles sont postérieures à la conceptualisation du Trigore mais elles constituent un intérêt sur le plan graphique.
Le premier croquis représente une créature que Wayne Barlowe a baptisé le Unth. Elle est extraite de l’œuvre Expédition (1990). Wayne Barlowe y campe un monde exotique en 2358, Darwin IV, habité par une faune plurielle et atypique. Notez la finesse des traits mais surtout l’esthétique générale qu’il faut mettre en perspective avec notre créature tripode. Les viscères apparents sur le flanc sont très proches de ceux du Trigore.
Le second document est un concept art, sublime, mettant en scene Drrench, le “Gladiateur des Glaces” qui appartient à la série 2 des action figures Power Lords. Le croquis doit dater de 1983 sachant que le jouet a été commercialisé dès 1984. Encore une fois, les détails sont nombreux et l’esthétique côtoie l’excellence. On relèvera bien évidemment la dimension tripode de Drrench.
Le packaging européen Ceji
La boite du Trigore qui illustre ce dossier est celle que nous avons connu en France à partir de l’année 1984. Le conditionnement est frappé du logo Ceji, distributeur hexagonal officiel concernant les Power Lords. Pour rappel ce sera Revell qui diffusera initialement les guerriers extra-terrestres aux Etats-Unis dès 1983.
J’apprécie beaucoup la charte graphique des packagings Power Lords. Les bulles bleutées évoquent les années 70 accentuant ainsi la dimension vintage. Il y a également quelque chose de très cellulaire, de presque organique. On notera par ailleurs la découpe irrégulière autour de la partie fenêtre qui apporte du relief.
Autre élément important, la triple traduction qui nous apporte des informations en termes de distribution : la France, l’Angleterre et l’Allemagne sont concernés.
Le dos de la boite reprend une esthétique qui nous est très familière, à savoir le fond blanc. Cette neutralité permet de mettre en valeur les différents artworks et ainsi accentuer la dimension publicitaire. Il faut souligner l’aspect “handmade” très qualitatif des croquis. On retrouve les 6 personnages de la série 1 distribués en 1984 (datation FR). Le playset Volcan Rock est illustré tout comme le Vaisseau d’Adam ainsi que le Trigore au centre.
Justement, les particularités du “Monstre Broyeur” sont mises en avant. D’abord les petites roues fonctionnelles à l’extrémité de chaque patte. Ensuite la trappe dorsale permettant de libérer l’espace destiné à accueillir un personnage. Enfin une petite action feature en lien avec les mandibules et le “guidon d’attaque”. Il est temps d’évoquer plus en détail toutes ces spécificités.
Trigore, le Monstre Broyeur
L’originalité est de rigueur lorsqu’on examine Trigore. Ce n’est pas véritablement une monture dédiée comme le Tigre de Combat (1981), Panthor (1983) ou encore Warlock (1983 V.1), même si dans le second DC comics Power Lords la créature apparaît une fois chevauchée par un personnage en particulier.
Non, Trigore est un monstre spatial, selon le premier DC comics Power Lords, qui se déplace en groupe avec ses congénères. Malgré cette configuration de meute, l’idée de créatures évoluant dans l’espace m’évoque spontanément le Sky-Runner de la licence SilverHawks (1986). Surtout que Trigore et ses homologues se déplacent essentiellement dans les airs.
La déclinaison plastique du Trigore est colorée avec des chromatiques incluant le vert, le rouge et très peu de noir. Ce choix de teintes souligne parfaitement l’aspect organique de la créature. En effet, Wayne Barlowe a disséminé différentes excroissances de tailles variables sur le corps du Trigore. La partie la plus rebutante étant les viscères apparents sur les flancs. Toujours en termes de design, les yeux exorbités s’inscrivent dans un style horrifique très reptilien ou insectoïde si on prend en compte les mandibules.
Concernant la jouabilité, on soulignera d’abord les petites roues évoquées précédemment. Elle sont parfaitement insérées aux extrémités des pattes, dans une volonté de discrétion. D’ailleurs celle située à l’avant peut pivoter sur elle-même. Ensuite on notera la petite trappe dorsale qui peut se retirer très facilement. La pointe assure une prise en main ergonomique.
Enfin une action feature, très simple, consiste à écarter manuellement les mandibules. Celles-ci se bloquent en position ouverte via un système de type “lock”. En pressant sur le “guidon d’attaque” noir, les mandibules se referment automatiquement. J’apprécie beaucoup ce genre de petits mécanismes, certes sommaires, mais qui apportaient une vraie plus-value pour les jeunes propriétaires de l’époque.
Le Trigore, comme évoqué précédemment, n’est pas une créature unique et assignée de manière définitive à un personnage. Un des artworks relatifs aux boites de puzzles Power Lords illustre pourtant Raygoth chevauchant le monstre. Ce binôme n’apparaît pas dans les 3 DC comics. Idem concernant le gift-set qui commercialise Arkuss aux côtés du Trigore. Le “Monstre Broyeur” a d’ailleurs souvent été associé au “Dictateur Démoniaque” dans les catalogues promotionnels commerciaux.
Selon une volonté strictement esthétique j’ai choisi d’illustrer, le temps du dossier, Ggripptogg avec Trigore. La concordance chromatique est une évidence, avec les parties rouges brossées en vert concernant cette action figure Power Lords.
Je souhaiterais conclure avec deux remarques défavorables concernant le Trigore. D’abord la qualité du plastique est très moyenne, à l’instar de celui utilisé dans la gamme vintage Power Lords. Ensuite le paintjob est assez approximatif avec une application parfois imprécise.
Epilogue
Je prends toujours un immense plaisir à évoquer la licence Power Lords. Les guerriers extra-terrestres ne cesseront jamais de m’interpeller, de me fasciner. Et c’était déjà le cas dans mon enfance lorsque je les ai découvert. Un sentiment particulièrement inoubliable qui entremêlait intérêt et dégoût. Cette sensation est bien connu des amateurs de films horrifiques.
Les jouets Power Lords n’ont pas connu un succès dithyrambique, victimes très certainement de leurs esthétiques monstrueuses. Cette remarque m’évoque une autre licence que je cite souvent, celle des Skeleton Warriors (1994). Les êtres squelettiques de Gary Goddard ont subi un double traitement médiatique aux Etats-Unis, à la fois favorable mais également très hostile. Toute la dualité du sacrosaint puritanisme à l’américaine.
Et puis il faut bien le dire, l’année 1983 (datation U.S.) sera marquée par l’arrivée du dessin animé des Maîtres de l’Univers sur le petit écran. Le sort des Power Lords étaient définitivement scellé. En dernière instance, je souhaiterais préciser que le Trigore est la créature Power Lords favorite de Wayne Barlowe. Par ailleurs, il faudra attendre 1988 pour découvrir en France un autre monstre aux entrailles apparentes : Le Savant Fou – Dissèque un Extra-Terrestre.
Dans un souci de lisibilité, j’ai volontairement réduit ce dossier vintage dédié au Trigore. Ce sera l’occasion de rédiger une suite avec des références beaucoup plus axées sur les DC comics ainsi que la littérature et le cinéma fantastiques. J’espère que le moment a été agréable dans tous les cas. Merci à tous pour vos lectures.
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C’est le week-end, je vais par curiosité sur le site de FulguroPop voir quel jouet G.I Joe est décrypté … A la place, une affreuse créature verte et rouge (les deux couleurs qui s’harmonisent le moins comme l’avait acté Wes Craven pour le pull de Freddy Krueger dans Les griffes de la nuit). Alors je fais F5, pensant que ce devait être une erreur du site, ou alors le nouveau topic G.I Joe a été piraté et remplacé par ce “monstre broyeur” !
Mais non !
Alors ce Trigore a une nouvelle fois surgi de l’imagination cauchemardesque de Wayne Barlowe si je comprends bien. L’exemplaire possède des couleurs magnifiquement conservées. Le vert est bien flashy ! J’aime. Le monstre lui-même… heu, moins. Disons que j’ai du mal avec l’idée de mécanique animale parfaite avec un seul pied à l’avant. Mais pourquoi pas. Par contre, les viscères si facilement accessibles ? La nature est pourtant souvent bien faite. Ainsi nos artères coulent vers l’intérieur de nos jambes pour minimiser le risque qu’elles soient atteintes en cas de blessure. Et si par exemple, nos félins compagnons acceptent parfois difficilement des caresses sur le ventre, c’est bien parce que ce côté là représente une vulnérabilité plus élevée. Je suis donc un peu perplexe sur ce concept d’organe vital aussi mal protégé concernant Trigore.
Pour autant, l’analyse Nicko est encore une fois au top avec ces croquis de l’artiste. C’est bien simple en quelques productions, tu laisses loin derrière toi tout ce qui a été discuté autour de la gamme sur des forums généralistes comme Collect’all. Bravo !
Un grand merci Pascal pour ta lecture et ton retour très encourageant ! 😀
Parler des Power Lords en France, c’est un peu comme s’aventurer dans une forêt profonde la nuit. Mais j’accepte cette règle et pire, elle n’entame en rien le bonheur que j’ai à évoquer les guerriers extra-terrestres. Ne te réjouis pas trop vite Pascal, j’ai encore plusieurs boites et blisters G.I.Joe à présenter lol Il y aura donc d’autres productions estampillées “héros sans frontières” sur FulguroJoe euh pardon FulguroPop !
Ta remarque est juste. Des organes internes disposés à l’extérieur est un concept interpellant, presque illogique. Mais c’est finalement toute la dualité et l’atypisme propre à Wayne Barlowe concernant ses créations surnaturelles de manière générale. Le fantastique, l’excentrique côtoient de près le réalisme à travers des bases biologiques solides empruntées à la nature. Les références de ce dossier l’illustrent bien d’ailleurs et il y aurait de nombreux autres cas à évoquer. On peut parler de marque de fabrique je crois bien. Il y avait vraiment quelque chose d’avant-gardiste dans le style Barlowe au début des années 80 et même auparavant.
Je te remercie Pascal pour tes gentils mots conclusifs. Je pense très sincèrement que l’on fait toujours quelque chose à partir d’autres choses. Ca n’a jamais été aussi vrai à notre époque, peu importe les domaines d’ailleurs. Si ce dossier Power Lords a été possible c’est parce que des forums comme Collect’all ou bien la Malle aux Jouets existent depuis des années. C’est parce que d’autres passionnés ont déjà évoqué le sujet Power Lords, avec brio parfois. Je crois qu’il est capital de garder ça en mémoire et de toujours évoquer une “filiation” dès que cela est possible. Par honnêteté intellectuelle bien entendu mais aussi dans une idée de passage de flambeau. Rien ne nous appartient, nous sommes de simples passeurs de flammes au sens passionnel. Et c’est ce qui m’inquiète parfois. J’espère que la relève sera là, aussi infime soit elle quantitativement parlant.
Je souhaiterais conclure en disant que si nous nous intéressons aux jouets c’est parce qu’il y a eu, avant le plastique, le métal, avec ses passionnés. Et encore avant le bois avec aussi ses amoureux. Je crois que la paternité d’un domaine n’existe finalement pas, ce n’est que la continuité d’une histoire. Ne l’oublions jamais et sachons toujours rester humble vis-à-vis de ça.
Un article dynamique et documenté, qui permet de mettre en valeur ce lien souvent oublié entre art et jouets, et ce faisant une gamme originale et méprisée ! D’ailleurs, les Four Horsemen continuent-ils à la faire vivre ?
Merci beaucoup Nicolas pour ta lecture et ton retour 😀
Le projet des Four Horsemen concernant le revival Power Lors a été assez rapidement mis sur la touche il me semble. Rien n’est allé au-delà de l’année 2013, à vérifier. Ces quatre sculpteurs sont vraiment talentueux et ils avaient même travaillé sur les nouveaux Power Lords en étroite collaboration avec Wayne Barlowe himself. Le seul point qui m’a dérangé, c’est le format des action figures créées qui a été revu à la baisse vis-à-vis des originales. Pour des raisons de coûts très certainement. Je trouve que les cotations réduites enlèvent une partie de la dimension impactante qu’avaient les guerriers extra-terrestres originaux. Ce n’est qu’un ressenti bien entendu.
Bonjour Nicolas, les Four Horsemen ont arrêté le projet à peu près aux dates citées par Nicko. Je pense même à 2014 car j’avais acheté pour Greg de ToyzMag des test shots de la gamme quand je les avais rencontrés lors du Comic Con de New York à l’automne 2013.
Merci à tous les deux pour les précisions !
De rien, avec plaisir !