Prowse Combat. Que le rédac’chef pardonne une nouvelle fois ce titre un peu long. Décidemment triste actualité en cette pénible et interminable année 2020. Et dire qu’il y a quelques jours, était promis un article sur la mort de Michel Robin (qui conversait notamment avec Croquette dans Fraggle Rock en 1983) ! Vœu pieux faute de temps mais là franchement : comment passer à côté de l’incroyable parcours de l’incarnation du pire « bad guy » du cinéma ?
David Prowse IS Darth Vader mais aussi un personnage que de nombreux fans à travers le monde (dont la France) ont pu côtoyer, approcher et recueillir dédicaces, signatures, selfies innombrables et variés. Sans oublier le nombre incalculable de produits dérivés dont il était, à son corps défendant, à l’origine. Un casque, une icone, un symbole presque universel, endossé à trois reprises seulement au cinéma (et encore, pas toujours par Prowse lui-même !). Un relationnel compliqué – pour rester poli – avec le clan Lucas/Lucasfilm… Envers ou en Prowse ? Tel est son destin…
Et pourtant tout avait commencé dans nos mémoires de cinéphiles avec un rôle démasqué : celui du garde du corps bodybuildé -en slip (Nicko, forcément, une réaction ?) d’un écrivain paraplégique tabassé chez lui devant des caméras (déjà ?) dans Orange Mécanique de Kubrick.
Prowse fait de la muscu, soulève de la fonte comme on dit. Il récolte des prix… Sa carrure d’athlète britannique aurait pu le mettre sur un cheminement à la Arnold Schwarzenegger car comme lui, manifestement, il a un fort accent. Mais à la différence de son « haltère-égo »*, il ne parviendra pas à rendre sa diction suffisamment US-compatible pour décrocher autre chose que des petits rôles de monstres en costumes dans des productions plus ou moins populaires. Caméo dans… Benny Hill ! Eh oui ! Tout ça jusqu’à ce que…
L’histoire est connue : Prowse adorait la raconter avec délectation. George Lucas prospecte en Angleterre pour le casting de son nouveau film. Une histoire incompréhensible de Science Fiction qui en fait douter, voire ricaner, quelques uns… Il cherche des acteurs anglais de grande taille pour les rôles de Darth Vader et Chewbacca. C’est stipulé noir sur blanc: on ne verra jamais leurs visages à ces deux-là, du moins pour commencer.
Dave Prowse a la primeur : on lui laisse le choix ! Alors mon grand ? Le Wookie ou le « sombre seigneur noir de la Sith » comme on lit parfois dans des novellisations françaises ? Il opte pour le « méchant », car; dit-il, on s’en souvient plus longtemps. Bravo pour la petite pilule rouge : Prowse devient une vedette ! Le tournage du premier film se passe super bien : il côtoie le grand Alec Guinness ! On le voit tout sourire à ses côtés s’entraîner au combat de sabre laser. Les déconvenues vont pourtant venir vite…
Car tout méchant impérial qu’il est à l’écran, Dave déguste et se prend quelques humiliations vexatoires assez rapidement. Une présence, une prestance dans la façon de se mouvoir (le casque, qui limite son champ de vision, y est pour beaucoup dire-t-il) marque les esprits certes. Mais la respiration, et surtout la voix – et quelle voix : ne viennent pas de lui. James Earl Jones, voix grave qui dit « this is CNN » à la télévision, double Darth Vader/David Prowse en post-synchro. Et double boulette protocolaire pour les équipes techniques de Lucas : Jones n’est pas crédité aux premières versions du générique (la communauté noire américaine saura s’en souvenir) et on n’aurait pas pris soin de bien dire à Prowse qu’on allait procéder ainsi…
Et puis durant les phases de promo du film, que ce soit la cérémonie de empreintes à Hollywood, quelques publicités ou apparitions télévisuelles ou dans des grands magasins, si on sait réutiliser les costumes d’origine (y compris en France sur un stand Meccano), la production ne fait pas toujours appel à David Prowse, loin de là, pour enfiler la panoplie. Les figurants de grande taille ne manquent pas outre-Atlantique et autant économiser des billets d’avion. Bref, à la veille du tournage de l’Empire Contre-Attaque, ce qui deviendra Lucasfilm montre qu’on sait se passer de Prowse dès qu’il faut montrer Vader quelque part !
Et donc quand Irvin Kershner s’attaque à « Star Wars II »**, Prowse, toujours du haut de ses quasi 2 mètres, est reconduit au générique mais c’est Bob Anderson, cascadeur escrimeur de son état qui s’entraîne avec Mark Hamill pour le duel final. Et pour la révélation légendaire, ô suprême affront, on fait lire aux acteurs du grand n’importe quoi (quoique, « d’un certain point de vue… ») : Obi-Wan a tué ton père ! » mais Hamill est mis dans le secret (officiellement pour que sa réaction et son jeu d’acteur soient à la hauteur du switch), pas Prowse… Dark Rancoeur…
Du coup, la promo du film en 1980 se passe mal. Dave Prowse est clairement soupçonné de crime de fuite-majesté : il aurait spoilé (le terme ne s’utilisait pas encore) la fin du film dans la presse britannique. Banni soit qui mal y pense ! En réalité, les faits semblent bien plus complexe et l’acteur a tenté maintes fois de donner sa propre version, dates d’articles à l’appui. Il n’aurait fait qu’extrapoler lors de certaines interviews, ce qui aurait pu être le destin de son personnage, bien en amont des rédactions des différents scenarii… Et il serait, comme par hasard, tombé juste. De là à (presque) prétendre que c’est lui qui aurait (presque) donné l’idée à Lucas de faire de Vader le père de qui l’on sait…
Prowse pousse manifestement le bouchon un peu loin et le torchon brûle avec la maison Lucas. D’autant qu’elle devient un empire à son tour au début des années 1980 et que David aura du mal à gagner contre Goliath… Le tournage du Jedi se passe sans grande tension : les relations entre le réalisateur Richard Marquand et l’acteur sont contractuellement scellées et le Gallois est conciliant. Prowse est cependant remplacé dans de nombreuses scènes, pas seulement de cascades. Les mains qui manipulent le sabre vert de Luke sur une passerelle ne sont, par exemple, pas celles de Prowse…
Humiliation ultime : lorsque – enfin, Vader a le droit d’être vu – de face – sans son masque, c’est un autre acteur que Prowse qui s’y colle, le vétéran anglais Sebastian Shaw. Lui-même se verra zappé d’une scène finale quelques années plus tard à l’occasion de retouches contestables (et contestées). Le fait de mourir en 1994 ne lui permettra même pas de froncer les sourcils (retouchés aussi)… A croire vraiment que jouer Vader ne porte pas chance à beaucoup…
En clair en tous les cas s’agissant de Prowse, la coupe est pleine pour Lucasfilm : l’acteur ne sera pas invité aux conventions « officielles » (les Star Wars Celebration). Pour n’avoir su tenir sa langue et avoir continué à déblatérer dans la presse, sanction durable. Il devra se contenter d’aller signer des autographes dans des conventions officieuses. Il est loin d’être le seul et certaines relations seront parfois tendues entre Lucas et d’autres acteurs mais avec des moments de pardons et rédemption auxquels Darth Vader n’aura guère droit…
Exception qui confirme la règle : Prowse réenfilera très officiellement le costume noir, tout autant officiel, au mitant des années 1990 pour un jeu de plateau censé être révolutionnaire. Le jeu de société en question est en effet accompagné… d’une cassette VHS (oui, aujourd’hui, on en rigole…) et se joue devant la télévision avec Vador qui dicte les étapes du jeu… Tentative mitigée d’interactivité avant l’heure mais qui permet à l’acteur de se faire photographier avec le costume et en révélant son vrai visage.
Les cheveux ont blanchi, le sourire est parfois un peu figé mais Prowse entame une croisade assez prolifique de « dédicaceur fou ». Comme il le dit : pourquoi offrir ma signature sur des photos ou objets que je vois passer à la revente un bon prix. Il décide de faire payer les fans, suivi rapidement par ses collègues acteurs. La course aux autographes est lancée : on l’invite un peu partout, à plein de conventions, salons, rencontres… Et ça marche ! Produit d’appel avec d’autres « stars » comme Anthony Daniels (C-3PO « jadis Z6PO »), Kenny Baker (R2-D2), Peter Mayhew (Chewbacca), Jeremy Bulloch (Boba Fett) pour les plus connus, il arpente les salles y compris françaises. Espace Wagram, PJC et surtout cette mythique rencontre fondatrice à Arkham, sous l’égide du génial Numa Roda-Gil en 1999 ! « Place to be » où se créa un réseau de collectionneurs bien avant Facebook qui se remémore encore aujourd’hui ces instants précurseurs…
Prowse était à sa table, partageait des petits moments sympas, une fois les billets rangés dans sa trousse, clic une photo, clac un « to Machin : Dave Prowse IS Darth Vader » au promarker argenté ou doré sur une belle photo ou un objet soigneusement apporté par le fan. Le temps que l’encre sèche, on échangeait entre fans béats et transis parfois par le froid (plusieurs heures d’attente). « Next ! ». Plus de photos, heure tardive, les organisateurs gênés arpentaient la file pour dire qu’hélas, il faudrait revenir une prochaine fois… L’acteur quittait péniblement sa chaise, repartait prendre son Eurostar, échangeant parfois un court regard avec les autres acteurs de la saga quand il n’était pas le seul invité…
Ces derniers temps, vieillesse, arthrose et maladies rendaient ces moments de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’il annonce qu’il pouvait signer par correspondance, puis plus du tout… La Force s’éteignait mais le seigneur noir restait dans nos cœurs. Darth Vader est mort, Dark Vador n’est plus. Mais nous gardons dans nos têtes à jamais cette silhouette qui s’avançait dans un couloir jonché de cadavres de soldats, il y a plus de 42 ans. Merci à toi, Dave Prowse, pour avoir incarné ce superbe personnage, malgré les turpitudes traversées. Condoléances à ta famille et à tes proches, et pas seulement les Skywalker !
Nous sommes tous tristes et portons le deuil, tout de noir vêtus bien évidemment. Que la Force t’accompagne.
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*oui, je sais, elle était épaulée-jetée celle-là !
** si, si, je vous jure qu’on a dit comme ça à une époque, la numérotation n’était pas compliquée !
NB : en raison d’une rédaction rapide de l’article, les illustrations ont été piochées tout aussi rapidement sur le world wide web sans indiquer les liens. Merci de nous écrire en cas de toute difficulté sur l’utilisation de ces images d’illustration. Merci de votre compréhension.
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sith
•3 ans ago
Je me souviens de l espace Wagram, hé oui que de souvenirs ! Salut l Artiste.
Seb Ulba
•3 ans ago
Quelle bien triste nouvelle en cette bien triste année 2020.
Dark Vador disparaît… Incroyable…
Et c’est bien chez Arkham que je l’avais rencontré et que j’avais obtenu ma seule et unique dédicace d’un acteur de La Guerre Des Etoiles sur le blister d’une figurine POTF.
Et c’est là aussi que je t’ai rencontré FanSolo : la Force était avec nous ce jour-là. Cela me touche d’autant plus de lire cette nécrologie signée de ta main.
Ainsi va la vie.
Ainsi va la Force.
RIP David
Blaster
•3 ans ago
Merci Antoine pour ce portrait très starwarsien fourmillant de détails comme on les aime.
Je me rappelle une rencontre avec le grand Dave Prowse. C’était lors de la deuxième édition du Paris Comics Expo en 2013 Porte de Champerret. J’étais avec mon fils de 5 ans à l’époque qui portait son déguisement de Dark Vador. Prowse croisé au détour d’une allée avait gentiment accepté de poser pour une photo avec lui (que je portais dans mes bras puisque l’acteur, diminué, ne pouvait pas se baisser).
On en parle régulièrement avec mon fils qui a aujourd’hui 12 ans. Il m’a demandé de lui retrouver la photo pour la mettre sur ton téléphone et probablement la montrer aux copains au collège.
MacGivre
•3 ans ago
C’est par des articles comme ça (nécrologie) que je me rappelles que je vieillis : les personnages de ma jeunesse qui disparaissent les uns après les autres 🙁
Sinon par la phrase « Comme il le dit : pourquoi offrir ma signature sur des photos ou objets que je vois passer à la revente un bon prix. Il décide de faire payer les fans, suivi rapidement par ses collègues acteurs. », je comprends enfin pourquoi les autographes sont payants (réduire la spéculation sur les dédicaces ?).